Origines - 2

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Née le 5 mars 1992, dans un village perdu au cœur du Maroc, ma naissance ne fut marquée par aucune fanfare, simplement une autre âme dans notre grande famille. Je fus la septième enfant, une fille de plus dans la constellation de frères et sœurs qui peuplaient notre humble demeure. Mon père, alors âgé de cinquante ans, était un homme de la terre, ses mains toujours souillées par le sol qu'il cultivait avec une rigueur quasi religieuse.

Notre maison, faite de murs épais de terre séchée et de bois, vibrait des sons de mes soeurs aidant nos parents dans les innombrables tâches quotidiennes. L'existence dans notre maison était rythmée par les saisons et les prières, les journées commençant et se terminant par le son lointain de l'appel à la prière.

Mon père, bien qu'ignorant et attaché à des traditions anciennes, autorisait ses enfants à aller à l'école du village. C'était peut-être sa manière à lui d'avoir la paix de temps en temps. Pour lui, seule la religion comptait. À la maison, il ne parlait que de cela, ses discours empreints d'une ferveur qui touchait au fanatisme, où chaque histoire et chaque leçon morale étaient filtrées à travers les écritures sacrées.

Je suis née dans un foyer où la tradition et la piété dictaient le rythme de la vie. À ma naissance, mes deux frères aînés et ma sœur aînée étaient déjà mariés, engagés dans la continuation de notre mode de vie familial, profondément enraciné dans les principes que mon père chérissait. Ils avaient embrassé la vie que mon père avait sculptée pour eux, une existence où la religion primait sur toute autre aspiration.

Ma sœur aînée, tout comme mes frères, n'avait pas poursuivi ses études au-delà de l'enseignement obligatoire. Les discussions autour de la table familiale ne tournaient jamais autour des carrières ou des ambitions personnelles, mais plutôt des devoirs religieux et des responsabilités familiales. Ce cadre rigide avait façonné leurs vies, les conduisant à embrasser des rôles traditionnels au sein de notre communauté. Chacun, à sa manière, contribuait à perpétuer le métier familial, que ce soit par le travail de la terre, la gestion du bétail ou les petits commerces nécessaires à notre subsistance.

La distance entre mes frères et sœurs aînés et moi était plus qu'une simple différence d'âge; c'était un gouffre culturel et idéologique. Tandis qu'ils se contentaient de la vie qu'ils connaissaient, je me sentais étouffée, rêvant d'un monde au-delà des champs et des prières, un monde où mes questions trouveraient des réponses et où ma curiosité serait une bénédiction plutôt qu'une source de conflit.

Ma jeunesse fut donc un chemin solitaire parmi les miens. Je me réfugiais souvent dans les livres de l'école, les seuls fenêtres ouvertes sur des horizons différents. Chaque page tournée était une échappatoire, chaque nouveau concept appris une rébellion silencieuse contre le destin tout tracé qui semblait m'attendre. Cette soif de savoir, cette envie de comprendre le monde et de m'y frayer un chemin était mon secret, tenu à l'abri des regards désapprobateurs de ma famille.

Je ne pouvais m'empêcher de me demander ce que serait la vie si j'avais la liberté de choisir mon propre chemin, sans être entravée par les attentes écrasantes de piété et de tradition qui avaient défini la vie de mes frères et sœurs. Ces pensées, bien que gardées pour moi, étaient les étincelles qui alimentaient mon désir d'évasion, de découverte et, éventuellement, de liberté.

Comme les autres membres de ma famille, la pratique religieuse m'était imposée sans discussion. Je priais, je jeûnais, et lorsque j'eus mes règles, le port du voile me fut imposé sans que je puisse exprimer la moindre réticence. La maison était régie par la sévérité de mon père, un homme qui ne tolérait aucun écart par rapport à ce qu'il considérait comme les commandements divins. Il n'était pas rare qu'il nous frappe, moi ou mes frères et sœurs, parfois sans raison apparente, sa colère éclatant comme un orage soudain.

Mon père frappait également ma mère, un spectacle lamentable qui se répétait régulièrement. Les cris et les pleurs étaient des sons familiers dans notre foyer, et la peur de déclencher sa colère régnait en maître. Cette violence n'était pas seulement l'apanage de mon père ; elle se répercutait à travers toute la hiérarchie familiale. Ma mère, peut-être par frustration ou par désespoir, reproduisait parfois ces gestes envers ses filles. Mes frères, imitant notre père, n'hésitaient pas à user de force envers leurs sœurs, et les sœurs aînées perpétuaient ce cycle en se retournant contre les plus jeunes, comme moi.

Malgré l'atmosphère oppressante à la maison, où chaque minute de la journée était consacrée aux tâches ménagères ou à la ferme, je réussissais étrangement bien à l'école. C'était comme si l'apprentissage était ma seconde nature, une échappatoire qui s'offrait à moi dès que je franchissais les portes de l'école. Les cours étaient mes moments de liberté, où je pouvais nourrir mon esprit sans les contraintes de mon environnement familial. Mais une fois rentrée à la maison, le temps pour les études me manquait cruellement. Les révisions étaient un luxe que je ne pouvais me permettre, coincée entre les corvées et les responsabilités domestiques.

Dans la petite chambre que je partageais avec mes sœurs, l'intimité était un concept étranger. Les murs semblaient absorbés par le bruit et le chaos, rendant toute concentration impossible pour des études supplémentaires. Malgré cela, je continuais à exceller, portée par une capacité innée que même moi, je ne comprenais pas pleinement.

Curieusement, ma famille ne semblait jamais remarquer mes succès académiques. Ils étaient trop absorbés par les nécessités immédiates de notre quotidien ou trop désintéressés par les accomplissements qui sortaient du cadre de la piété et du travail manuel. À la fin de chaque année scolaire, lorsque les prix d'excellence étaient distribués, je ne me présentais jamais pour recevoir le mien. Je craignais que cette reconnaissance ne déclenche l'envie ou la désapprobation de mon père, ou pire, qu'elle ne me rende encore plus différente aux yeux de ceux que je devais considérer comme ma famille.

Ainsi, j'ai gardé mes succès pour moi, les chérissant comme des trésors secrets qui nourrissaient mon espoir et mon rêve d'une vie meilleure, loin de la ferme, loin des limitations imposées par mon éducation et mon milieu.

Dans notre famille, l'isolement était une règle non écrite, gravée dans le quotidien austère que mon père dictait. Nous vivions retranchés du monde, enfermés non seulement physiquement par les limites de notre ferme, mais aussi socialement par les interdits stricts imposés par mon père. Les amitiés étaient considérées comme des menaces, des portes ouvertes vers des influences indésirables. Les garçons étaient inévitablement des sources de perdition, et les filles, selon les mots tranchants de mon père, n'étaient que des entraîneuses.

Par ailleurs, qui aurait voulu être ami avec moi. Une fille qui arrivait à douze ou treize ans en voile et qui avait la moitié du temps un œil au beurre noir. Les autres n'aiment pas trop ma présence parmi eux.

Une fois par an, à l'occasion de l'Aïd, nous recevions la visite des quelques membres restants des familles de mes parents. Ces rares interactions étaient mes seules fenêtres sur un monde extérieur que je brûlais de découvrir. À part ces brefs moments, nous n'avions aucun contact social, aucun ami avec qui partager les joies ou les peines qui ponctuent l'enfance et l'adolescence. Mon univers se limitait à notre village, à ses champs poussiéreux et à ses rues qui n'avaient jamais connu mes pas au-delà de ce que mon père jugeait nécessaire.


L'interdiction de fréquenter quiconque en dehors de notre cercle familial était si sévère que la simple idée de parler à un camarade de classe pouvait déclencher une tempête de violence. Plusieurs fois, mes sœurs et moi avons été surprises en train de converser avec des camarades, et chaque fois, la punition était publique et brutale. Mon père et mes frères ne faisaient aucune distinction entre le chuchotement innocent et la conspiration ; tout était un affront à leur autorité et une violation de leurs règles strictes.

Les Passions de Sarah - Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant