Les Passions de Sarah - Tome I

Origines - 3

Ma sœur Ayla, trois ans plus âgée que moi, était la lumière dans l'obscurité de mon quotidien. Dans notre famille où la dureté et la rigueur dictaient chaque interaction, Ayla se distinguait par sa douceur et sa bienveillance envers moi. Contrairement aux autres, elle ne me brutalisait jamais, ne levait jamais la main sur moi, et c'était dans son regard que je trouvais souvent le réconfort dont j'avais désespérément besoin.

Ayla avait quitté l'école à l'âge de dix ans, car les études étaient pour elle un labyrinthe sans fin. Les chiffres et les lettres se confondaient dans son esprit, lui échappant dès qu'elle essayait de les saisir. Sa compréhension du monde académique était brumeuse, et elle n'avait jamais manifesté d'intérêt pour les livres ou l'apprentissage. Mais ce qui lui manquait en compétences scolaires, elle le compensait par une empathie et une compréhension émotionnelle qui étaient rares dans notre environnement familial.

Nous passions du temps ensemble, souvent en silence, car les mots semblaient superflus entre nous. Il n'y avait pas besoin de parler pour communiquer notre affection, nos peines, ou nos rares joies. Nos cœurs se parlaient dans un langage silencieux, un échange tacite de soutien et de compréhension. Étrangement, malgré notre manque de conversations profondes, je sentais qu'Ayla me comprenait, peut-être pas entièrement, mais assez pour me faire sentir moins seule dans ce monde que nous partagions.

Ayla était mon ancre, la seule personne à qui je pouvais me fier sans crainte. Nos moments ensemble étaient des bulles de douceur dans un quotidien autrement marqué par la rigueur et l'oppression. Dans son sourire timide, je trouvais la force de continuer, de porter les fardeaux de la journée avec un peu plus de légèreté. Sa présence était une forme de résistance silencieuse contre l'isolement forcé et la brutalité de notre vie familiale.

Elle était le symbole même de la résilience, même si, parfois, cela ressemblait plus à de la résignation. Elle avait subi tant de violences physiques de la part de nos frères que son apparence en portait les stigmates : un nez cassé et deux molaires manquantes. Malgré ces épreuves, elle ne semblait jamais désespérée ni même triste. Ayla vivait dans un état d'acceptation tranquille, sans espoir apparent pour quelque chose de différent ou de mieux. Son existence, dans son esprit, était simplement ce qu'elle était, sans perspective de changement.

Notre première grande transgression eut lieu un jour en rentrant de l'école. Notre maitresse, touchée par notre situation, nous avait invitées chez elle sous prétexte de nous donner du matériel scolaire. La charité était souvent le moyen par lequel nous obtenions ce dont nous avions besoin pour l'école, alors l'offre n'avait rien d'inhabituel. Pendant qu'elle fouillait son appartement pour rassembler des livres et des stylos, Ayla et moi nous trouvâmes seules dans le salon où la télévision était allumée.

Nous n'avions pas de télévision. C'était un objet interdit et presque mythique dans notre foyer. Sur l'écran s'affichait une chaîne française, et là, j'ai vu Alizée pour la première fois. Elle chantait et dansait avec une grâce et une liberté qui me semblèrent presque irréelles. Je connaissais déjà un peu le français grâce à l'école, mais jamais je n'avais entendu la langue utilisée de cette manière, pour exprimer quelque chose de si joyeux et vivant.

Ayla et moi, captivées, sommes restées là, figées devant l'écran, absorbant chaque note et chaque mouvement. Ce moment a marqué un tournant dans ma vie. C'était non seulement une transgression de les règles de notre père mais aussi une fenêtre ouverte sur un monde de possibilités et de beautés, un monde où des gens pouvaient chanter et danser librement, exprimant des émotions qui allaient bien au-delà de la simple survie quotidienne.