Origines - 5

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Cette annonce fut un coup dévastateur. Les murs de ma chambre, autrefois un refuge où je nourrissais mes rêves d'indépendance, semblaient se refermer sur moi. Tout à coup, l'avenir lumineux que j'avais imaginé s'assombrit, et la perspective de devenir une autre femme battue et soumise dans ma famille devenait une réalité terrifiante.

Les nuits qui suivirent la nouvelle de mon mariage arrangé furent les plus longues et les plus sombres de ma vie. Les larmes coulaient silencieusement alors que je contemplais un avenir que je refusais d'accepter. La perspective de me marier avec cet homme que mon père avait choisi pour moi était insupportable. Lorsque je rencontrai mon futur époux pour la première fois, tout espoir de trouver quelque réconfort s'évapora instantanément.

Il était, comme mon père l'avait décrit, un homme de la terre, mais sans aucune des qualités nobles qu'on pourrait romantiser dans cette simplicité. Il avait le double de mon âge, un visage marqué par la rudesse de la vie rurale, et une manière de se comporter qui me répugnait profondément. Chaque cinq mètres, il crachait avec dédain, comme s'il cherchait à marquer son territoire, ignorant ou indifférent à la répulsion qu'il suscitait chez moi.

Son petit lopin de terre, son seul héritage, ne promettait rien d'autre qu'une répétition de la vie que j'avais connue : travail incessant, soumission et absence de tout progrès personnel ou éducation. Il représentait tout ce que je m'étais jurée de fuir, une vie dénuée de rêves où la femme n'était qu'une ombre derrière son mari, sans voix et sans avenir propre.

Et puis un miracle se produisit. Ayla me sauva la vie.

Ce qu'elle fit, à mes yeux, n'est rien de moins qu'héroïque. Elle, qui avait toujours été la douceur incarnée, mon unique alliée dans une famille où la dureté régnait, s'était soudain transformée en ma plus grande sauveuse. Elle fit une proposition à mon père tellement inattendue, tellement impensable, que tout changea.

Elle avait argumenté que, compte tenu de son âge et de son absence de prospects matrimoniaux, il serait plus judicieux qu'elle prenne ma place. Elle avait peint un tableau où son mariage avec cet homme garantirait qu'elle ne serait plus une charge pour notre père, tandis que permettre à une jeune fille comme moi de poursuivre ses études en ville augmenterait les chances de la famille de bénéficier d'un retour financier plus conséquent à long terme. Elle avait suggéré qu'après mes études, je pourrais potentiellement épouser un homme de meilleure condition, apportant ainsi prospérité et prestige à notre famille.

Son plan, audacieux et réfléchi, avait touché une corde sensible chez mon père, qui, malgré ses tendances conservatrices, reconnaissait l'importance de l'avantage économique. Ayla avait joué sur sa vision du monde pragmatique, et cela avait fonctionné.

Je ne pouvais croire à ma chance, et je me demandais si Ayla avait réellement mesuré l'étendue de son sacrifice. Elle avait choisi de s'engager dans une vie qui ne lui promettait rien d'autre que la continuation de notre existence actuelle, tout cela pour me donner une chance de m'échapper, de réaliser mes rêves. Ce geste était d'un altruisme et d'une bravoure que je ne pourrais jamais oublier.

La perspicacité d'Ayla avait souvent été masquée par sa douceur et sa simplicité apparente. Mais dans ces moments cruciaux, elle avait démontré une intelligence et une ruse que personne dans notre famille n'avait jamais soupçonnée. Non seulement avait-elle conçu un plan pour me libérer, mais elle avait également orchestré tous les détails nécessaires pour que je puisse saisir cette opportunité d'étudier en Europe, pas simplement dans une ville plus proche.

En s'occupant des courses et des affaires domestiques, Ayla avait accès à notre correspondance. Elle utilisait cette position pour gérer discrètement tous mes documents essentiels : mon inscription à l'université, la confirmation de ma bourse, et tous les arrangements nécessaires. Son habileté à intercepter et à répondre aux lettres était une manœuvre d'évasion brillante, exécutée sous le nez de notre père qui, de par son analphabétisme, ne pouvait vérifier les papiers par lui-même.

Le jour de mon départ arriva, chargé d'un poids de tristesse et d'espoir entremêlés. Mes parents, bien qu'absents physiquement à ce moment crucial, m'avaient remis un petit pécule, un geste inattendu qui devait couvrir quelques frais. Cet argent, serré dans ma main, était un lien silencieux avec eux, un rappel de la maison que je laissais derrière moi. En réalité, cet argent allait me servir à payer mon billet d'avion.

C'était Ayla qui se tenait à mes côtés, comme elle l'avait toujours fait. Elle m'accompagna à la gare, portant avec elle le poids de notre séparation imminente. Dans l'air poussiéreux et chargé des bruits du départ, elle me tenait serrée contre elle, son étreinte ferme et réconfortante dans le brouhaha environnant. Je tremblais sous l'effet des émotions qui me submergeaient. Les mots de remerciement s'échappaient de mes lèvres en murmures répétés, tentant maladroitement d'exprimer l'immensité de ma gratitude pour son sacrifice.

À l'approche du vieux bus qui allait m'emmener loin de tout ce que j'avais connu, Ayla sortit une petite enveloppe de sa poche. Avec des gestes lents, presque solennels, elle me la tendit.

- C'est tout ce que j'ai pu mettre de côté durant toutes ces années, dit-elle d'une voix basse, chargée d'émotion. Je veux que tu aies tout ce dont tu as besoin. Ses yeux brillaient d'une lueur de tristesse mêlée de fierté.

Mes yeux, remplis de larmes, ne pouvaient se détacher des siens.

Alors que je sanglotais, incapable de contenir l'avalanche de sentiments qui me submergeait, Ayla me prit à nouveau dans ses bras. Elle me berça doucement, ses mots s'insinuant dans mon cœur avec une douceur déchirante :

- Ce n'est pas grave Sarah, quand tu seras une chanteuse célèbre, tu reviendras et tu me prendras avec toi, d'accord ?

Les Passions de Sarah - Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant