Lale - 2

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À mesure que les semaines passaient et que la pandémie s'enracinait profondément dans notre quotidien, la situation devenait de plus en plus difficile à supporter. Ce qui avait commencé comme une crise temporaire, un bouleversement passager, se transformait en une épreuve prolongée qui mettait à l'épreuve mes nerfs, mon équilibre mental, et ma relation avec Sevda. Les jours se fondaient en semaines, puis en mois, et la réalité de cette nouvelle vie sous le signe de l'incertitude me pesait de plus en plus.

Le confinement, imposé pour ralentir la propagation du virus, avait transformé Istanbul, cette ville vibrante et pleine de vie, en un lieu presque méconnaissable. Les rues, autrefois animées, étaient maintenant silencieuses, les boutiques fermées, les cafés déserts. Les quelques personnes que l'on croisait portaient des masques, leur visage à moitié caché, ajoutant à l'atmosphère déjà oppressante. Ce silence, ce vide, me pesait chaque jour un peu plus. Mais plus que l'isolement social, c'était l'absence de ma famille qui creusait en moi un gouffre de solitude.

Je m'efforçais de rester forte, de ne pas céder à l'angoisse qui menaçait de m'envahir à chaque instant. Sevda était là, toujours à mes côtés, essayant de m'apporter un réconfort dont j'avais désespérément besoin. Mais malgré tous ses efforts, quelque chose en moi restait insatisfait, incomplet. Le manque de ma famille, de mon enfant, et même de la présence masculine d'Alex se faisait sentir de manière de plus en plus aiguë. Je me surprenais à rêver de ces moments passés avec Alex, de ses bras autour de moi, de son parfum rassurant, de la sécurité que je ressentais en sa présence. Ce besoin physique, émotionnel, se faisait de plus en plus pressant, un manque que même Sevda, malgré toute sa tendresse et son amour, ne pouvait combler.

Sevda le sentait, bien sûr. Elle n'était pas aveugle à mes changements d'humeur, à ma distance croissante. Je voyais dans ses yeux cette tristesse qu'elle essayait de masquer, cette frustration de ne pas pouvoir être tout ce dont j'avais besoin en ces temps troublés. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour me distraire, pour attiser cette flamme d'évasion qui, autrefois, nous avait rapprochées. Mais l'étincelle semblait s'être éteinte, noyée dans l'anxiété, le désespoir, et le manque profond qui grandissait en moi.

Les jours devenaient des épreuves. Les moments d'intimité, autrefois source de réconfort et de plaisir, étaient maintenant teintés d'une mélancolie que je ne pouvais ignorer. Faire l'amour avec Sevda n'était plus qu'un acte mécanique, dépourvu de la passion qui avait autrefois marqué nos rencontres. Je me forçais à répondre à ses avances, à jouer le jeu de l'intimité, mais mon cœur n'y était plus. Chaque fois que nos corps se rejoignaient, je ressentais ce vide, cette absence de ce que je désirais vraiment : une connexion plus profonde, plus complète, que je ne pouvais plus trouver avec elle.

La tension entre nous montait, silencieuse mais palpable. Sevda essayait de comprendre, de me parler, mais je ne savais pas comment lui expliquer ce que je ressentais, comment lui dire que ce n'était pas de sa faute, mais que quelque chose en moi s'était brisé, ou peut-être éteint. La distance, la solitude, l'incertitude quant à l'avenir avaient pris le dessus sur tout le reste. Je passais mes journées à errer dans l'appartement, à fixer les murs, à rêver de ce que j'avais perdu et de ce que je ne pouvais plus avoir. Ma famille, mon enfant, ma vie d'avant me manquaient terriblement, et même les moments passés avec Alex, aussi compliqués soient-ils, me semblaient maintenant être des souvenirs précieux, des morceaux de ma vie que je n'avais pas su apprécier à leur juste valeur.

Lorsque les restrictions commencèrent à s'assouplir, lorsque la ville commença à reprendre un semblant de normalité, Sevda décida qu'il était temps pour elle de retourner voir sa famille. Elle me l'annonça un soir, après un dîner silencieux, son ton doux mais ferme.

- Sarah, je pense qu'il est temps que je rentre chez moi, au moins pour quelques jours, dit-elle, évitant soigneusement mon regard. Ma famille a besoin de moi, et je pense que nous avons toutes les deux besoin d'un peu d'espace.

Je ne fus pas surprise par sa décision. Au fond de moi, je savais que ce moment arriverait, que cette distance entre nous ne pouvait qu'aboutir à ce genre de séparation temporaire. Mais cela n'empêcha pas la douleur de m'envahir, une douleur que je tentai de masquer en hochant la tête, en souriant faiblement.

- Je comprends, Sevda, répondis-je doucement. Ta famille doit te manquer... C'est normal que tu veuilles les voir.

Elle acquiesça, un léger sourire triste étirant ses lèvres.

- Et toi aussi, ta famille te manque, je le sais. Peut-être que cette distance temporaire nous aidera à y voir plus clair.

Elle essayait de me rassurer, mais je sentais qu'elle était aussi perdue que moi, qu'elle cherchait un moyen de sauver ce qu'il restait de notre relation sans savoir si c'était possible. Cette séparation, même temporaire, n'était peut-être que le début d'une fin inévitable, une fin que ni l'une ni l'autre ne voulait admettre.

Le jour de son départ, l'appartement semblait plus vide que jamais. Je l'accompagnai jusqu'à la porte, l'embrassant une dernière fois avant de la laisser partir. Elle me serra dans ses bras, plus longtemps que d'habitude, comme si elle aussi ressentait cette incertitude, ce doute qui planait entre nous.

- Je t'appellerai, dit-elle doucement, ses yeux brillants d'une émotion contenue.

- Oui, appelle-moi, répondis-je, essayant de sourire malgré la tristesse qui alourdissait mon cœur.

Et puis elle partit, me laissant seule dans cet appartement devenu trop grand, trop silencieux pour moi. Les jours suivants furent longs, interminables, marqués par ce vide laissé par son absence. Je me retrouvai face à mes pensées, face à cette solitude qui me rappelait constamment ce que j'avais perdu, ce que je cherchais à retrouver sans y parvenir.

La pandémie, qui avait bouleversé tant de vies, continuait de faire des ravages, non seulement à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur de moi. Je me retrouvais à réfléchir, à repenser à mes choix, à cette quête incessante de quelque chose que je ne pouvais plus définir. Et maintenant, avec Sevda partie, avec ma famille toujours hors de portée, je me demandais si je trouverais jamais une issue à ce labyrinthe d'incertitudes, de désirs inassouvis, et de regrets.

Les Passions de Sarah - Tome VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant