La Croisée des Chemins - 2

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Avec mon retour à Istanbul, je ressentis une sorte de vide que je ne parvenais pas à combler, malgré l'excitation initiale de retrouver la ville qui m'avait tant séduite. Istanbul, avec ses rues sinueuses, ses mosquées majestueuses et ses marchés animés, était toujours aussi fascinante. Pourtant, quelque chose me manquait, quelque chose d'essentiel que je n'arrivais pas à nommer. C'est peut-être pour cela que je me suis plongée dans une nouvelle quête, un nouveau défi : prendre en main ma vie professionnelle, non pas par nécessité, mais par envie de me prouver que je pouvais créer quelque chose de solide, de durable, ici même, dans cette ville qui m'avait déjà offert tant d'expériences.

Avec l'aide d'Alex, je me lançai dans le monde des investissements. Nous avions toujours entretenu une relation particulière, faite de compromis et de respect mutuel, mais aussi d'une certaine liberté qui nous permettait d'explorer nos propres chemins tout en restant connectés. Cette fois-ci, il fut mon guide, mon mentor. Il m'aida à comprendre les rouages complexes de la bourse, à discerner les opportunités parmi les fluctuations incessantes du marché. Chaque soir, nous échangions sur les stratégies, les tendances, et il m'encourageait à prendre des risques calculés, à me fier à mon instinct tout en restant prudente. Je me rendis vite compte que cet univers, qui m'était autrefois étranger, devenait une véritable passion. J'aimais la sensation de contrôle que cela me donnait, le pouvoir de décider où placer mon argent, et l'adrénaline que je ressentais lorsque mes choix portaient leurs fruits.

Les premières semaines furent un mélange d'apprentissage intense et de satisfaction croissante. Je pris goût à la recherche, à l'analyse des marchés, et je commençai à diversifier mes investissements, non seulement en bourse, mais aussi dans des placements bancaires plus sécurisés. Cette dualité entre le risque et la sécurité reflétait bien mon état d'esprit du moment. J'étais prête à explorer, à tester mes limites, mais je savais aussi que je devais préserver une certaine stabilité, un équilibre qui me permettrait de continuer à avancer sans crainte.

Cette nouvelle occupation occupait mes journées, mais ne comblait pas entièrement le vide que je ressentais depuis mon retour. Je me surpris à chercher d'autres moyens de réaffirmer ma présence à Istanbul, de marquer cette nouvelle étape de ma vie. C'est ainsi que je décidai de m'offrir une nouvelle voiture. Ce n'était pas un caprice, mais plutôt un symbole de ce nouveau départ, une manière de me réapproprier ma vie dans cette ville. Conduire dans les rues d'Istanbul, avec son trafic chaotique et ses paysages urbains changeants, me donnait une sensation de liberté, une impression de pouvoir aller où bon me semblait, sans entrave.

Mais au-delà de ces gestes symboliques, je ressentais le besoin de partager cette nouvelle vie avec quelqu'un. Et ce quelqu'un, c'était Esra. Depuis mon retour, je n'avais pas pu ignorer la distance qui s'était installée entre nous. Ses sourires étaient devenus rares, et lorsqu'ils apparaissaient, ils semblaient forcés, comme s'ils cachaient une vérité qu'elle n'osait pas me révéler. Je tentai de l'ignorer au début, me disant que peut-être, elle était simplement vexée que je l'aie laissée seule si longtemps. Mais plus les jours passaient, plus cette distance me préoccupait.

Je pensais que, peut-être, en lui offrant quelque chose de tangible, quelque chose qui symboliserait notre avenir ensemble, je pourrais la ramener à moi. C'est pourquoi je décidai de lui faire une surprise, une surprise qui, je l'espérais, raviverait la flamme de notre complicité. Un matin, je l'emmenai de l'autre côté du Bosphore, du côté asiatique d'Istanbul. Nous avions toujours aimé explorer cette partie de la ville, plus calme, plus résidentielle, où l'on pouvait échapper à l'agitation incessante du centre.

Le trajet se déroula dans une atmosphère étrange. J'essayai de lancer quelques conversations, mais Esra restait silencieuse, absorbée dans ses pensées. Je sentais qu'elle était avec moi physiquement, mais que son esprit était ailleurs, loin de cette voiture, loin de moi. Cela me troubla, mais je me forçai à rester optimiste, à croire que la surprise que je lui réservais allait changer les choses, que cela allait nous rapprocher à nouveau.

Lorsque nous arrivâmes à destination, je garai la voiture devant un magnifique immeuble, moderne et élégant, situé dans un quartier résidentiel paisible. L'appartement que je m'apprêtais à lui montrer était tout ce que j'avais rêvé pour nous deux : spacieux, lumineux, avec une vue imprenable sur la ville, et à cette époque, les prix des appartements étaient ridiculement bas comparés aux prix européens. C'était un lieu où je nous voyais vivre ensemble, construire un avenir, loin des turbulences du passé. Nous montâmes en silence, et je sentis mon cœur battre un peu plus fort à chaque pas. J'étais impatiente de voir sa réaction, d'entendre son cri de joie, de la voir courir vers moi pour m'embrasser, pour me dire combien elle était heureuse.

Mais lorsque je lui ouvris la porte de l'appartement, l'enthousiasme que j'attendais ne vint pas. Esra entra, jeta un coup d'œil rapide autour d'elle, et resta figée, comme si l'endroit ne signifiait rien pour elle. Je la regardai, cherchant des signes de bonheur, de surprise, mais tout ce que je vis, c'était une sorte de résignation dans ses yeux, une tristesse qu'elle ne cherchait même plus à cacher. Ce silence, ce manque de réaction, commença à m'angoisser.

- Esra, dis-je en essayant de maintenir un ton léger, c'est notre nouveau foyer. Qu'est-ce que tu en penses ?

Elle leva les yeux vers moi, et dans son regard, je lus une douleur que je n'avais jamais vue auparavant. Mon cœur se serra. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Pourquoi cette réaction ? Je m'approchai d'elle, tentant de la prendre dans mes bras, mais elle se recula légèrement, comme si mon geste était de trop.

- Tu n'es pas contente ? demandai-je, ma voix trahissant l'inquiétude qui montait en moi.

Elle baissa la tête, incapable de me regarder en face. Le silence qui s'ensuivit fut lourd, presque oppressant. Je sentais que quelque chose d'important allait être dit, quelque chose que je n'étais peut-être pas prête à entendre. Mon esprit commençait à imaginer toutes sortes de scénarios, chacun plus troublant que le précédent.

- Sarah... commença-t-elle enfin, sa voix à peine audible. Il faut que je te dise quelque chose.

Je retins mon souffle, redoutant ce qui allait suivre. Le monde semblait se figer autour de moi, chaque seconde s'étirant en une éternité. Je la fixai, cherchant désespérément à comprendre ce qu'elle allait m'annoncer, ce secret qu'elle semblait porter depuis des semaines, peut-être des mois.

- Je vais me marier, lâcha-t-elle enfin, dans un murmure presque inaudible.

Ces mots résonnèrent dans l'air comme un coup de tonnerre. Je restai pétrifiée, incapable de bouger ou de parler. Le monde, tel que je le connaissais, s'effondra en un instant. Je n'avais pas prévu ça, je n'avais même pas imaginé que cela puisse être une possibilité. Esra... mariée... Ces mots ne faisaient aucun sens dans mon esprit, comme si mon cerveau refusait de les accepter.

Je la regardai, cherchant des explications, une justification, mais tout ce que je vis dans ses yeux, c'était une profonde tristesse, une douleur qui reflétait la mienne. Le bel appartement que je venais de lui montrer, ce foyer que j'avais imaginé pour nous deux, se transformait soudain en un lieu vide, sans vie, sans avenir. Je ne pouvais rien dire, rien faire, juste rester là, figée, tandis que le poids de ses paroles continuait de me submerger.

- Je suis désolée, ajouta-t-elle, comme si cela pouvait atténuer le choc de sa révélation.

Mais il n'y avait rien à dire, rien à faire pour changer ce qui venait d'être dit. La distance entre nous, que j'avais ressentie depuis mon retour, prenait maintenant tout son sens. Je sentais mon cœur se serrer, mes pensées s'embrouiller. Comment avais-je pu être si aveugle ? Comment n'avais-je pas vu les signes ? 

Les Passions de Sarah - Tome VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant