La Croisée des Chemins - 3

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Esra prit une profonde inspiration, comme si elle cherchait les mots justes, ceux qui atténueraient l'impact de ce qu'elle s'apprêtait à dire. Mon cœur battait de plus en plus vite, le silence devenant presque insupportable. Je n'avais jamais vu Esra aussi nerveuse, aussi mal à l'aise. C'était comme si elle portait un fardeau qu'elle n'arrivait plus à cacher, une vérité qu'elle avait gardée en elle trop longtemps.

- Il... il m'a demandé en mariage, finit-elle par dire, sa voix tremblante, presque brisée. Et... j'ai dit oui.

Ces mots me frappèrent comme une vague glaciale. Je restai figée, incapable de comprendre ce qu'elle venait de dire. Esra, ma douce Esra, venait de me dire qu'elle avait accepté une demande en mariage, et tout à coup, l'air sembla se raréfier, les murs de cet appartement se refermant sur moi.

- Le mariage est prévu pour décembre, ajouta-t-elle, sa voix à peine plus qu'un murmure.

Le mois de décembre, ce n'était qu'une question de mois... Tout ce que nous avions partagé, tout ce que j'avais espéré pour notre avenir, se dissipait comme de la fumée, remplacé par cette réalité incompréhensible. Je sentis une colère sourde monter en moi. Comment avait-elle pu me cacher cela ? Comment avait-elle pu prendre une décision aussi monumentale sans même m'en parler ?

- Tu te fous de moi ? crachai-je, la voix tremblante de colère. Tu as rencontré quelqu'un, tu as accepté de te marier, et tu ne m'as rien dit ? Depuis combien de temps ça dure, hein ? Depuis combien de temps tu me mens ?

Esra recula légèrement, effrayée par l'intensité de mes paroles. Je pouvais voir les larmes commencer à briller dans ses yeux, mais cela ne fit qu'amplifier ma rage. La douleur qui me submergeait me poussait à vouloir la blesser, à vouloir lui faire comprendre à quel point elle m'avait trahie.

- Alors quoi, tu jouais à la petite amie modèle avec moi pendant que tu préparais ton mariage avec un autre ? continuai-je, incapable de retenir mes mots. C'est ça ton plan ? Me laisser en plan dès que tu trouves quelqu'un d'autre ? Quelle hypocrite, Esra ! Quelle putain d'hypocrite !

Elle tenta de parler, mais je ne lui en laissai pas le temps. Les mots sortaient de ma bouche avec une cruauté que je ne parvenais plus à contrôler. Tout ce que je ressentais, cette trahison, cette douleur, se transformait en un torrent de colère que je déversais sur elle sans retenue.

- Et maintenant, quoi ? lançai-je, le regard brûlant de rage. Qu'est-ce que ça implique pour nous ? Qu'est-ce que ça veut dire pour notre relation, hein ?

Esra baissa la tête, incapable de soutenir mon regard. Sa voix se brisa lorsqu'elle répondit, les mots luttant pour sortir de sa gorge.

- Ça veut dire... ça veut dire que je ne pourrai plus être avec toi pour très longtemps, avoua-t-elle, chaque mot lui coûtant visiblement un effort immense.

Cette réponse, aussi attendue qu'elle fût, eut l'effet d'un coup de poignard en plein cœur. Ma colère, loin de s'apaiser, se transforma en quelque chose de plus sombre, de plus cruel. Je sentis une froideur s'emparer de moi, une détermination à lui faire payer cette trahison, à lui faire ressentir ne serait-ce qu'une fraction de la douleur qu'elle venait de m'infliger.

- Je vois, dis-je, ma voix glaciale, dénuée de toute émotion. Tu vas donc me laisser tomber, dès que tu en auras fini avec moi. C'est ça, Esra ? C'est ça ton plan génial ?

Elle secoua la tête, les larmes coulant maintenant librement sur ses joues, mais je ne voulais pas, ou plutôt, je ne pouvais pas la laisser s'en tirer aussi facilement. Elle devait comprendre, elle devait ressentir le poids de ses actes.

- Tu es pitoyable, Esra, continuai-je, enfonçant le couteau encore plus profondément. Tu n'as même pas le courage de vivre ta propre vie. Tu te laisses porter par les décisions des autres, et tu appelles ça de l'amour ? Tu crois vraiment que tu seras heureuse dans ce mariage ? Tu es trop lâche pour affronter la réalité.

Elle s'effondra presque sous le poids de mes paroles, et pourtant, je ne ressentais aucune pitié, aucune compassion. Seule cette rage glaciale, cette détermination à lui faire comprendre qu'elle m'avait brisée. Mais, au fond de moi, derrière cette façade de cruauté, je savais que je ne faisais que masquer ma propre douleur, ma propre peur de la perdre, de voir notre relation s'effondrer sous mes yeux sans pouvoir rien y faire.

Je m'avançai et je la pris par le bras.

- Réponds-moi quand je te parle putain !

Je sentis son corps se raidir.

- S'il te plaît ne me frappe pas, dit-elle dans un sanglot.

Cette phrase me fit reprendre mes esprits. Je sentis mon sang se glacer, mais je ne lâchais pas Esra pour autant.

- Sarah... mon amour, je ne te comprends pas vraiment. Tu m'as toi-même dis avant de partir pour la Grèce qu'il fallait que j'aie une vie, que tu ne seras pas toujours avec moi... je...

Je sentis mon cœur se serrer. C'était vrai que j'avais dis ça, mais je ne me rendais pas compte à l'époque qu'Esra était aussi importante pour moi. Je lâchai son bras lentement.

- Je ne veux plus jamais te voir, lâchai-je enfin, chaque mot prononcé avec une froideur calculée. Tu entends ? Plus jamais. Fais ta vie, marie-toi, et laisse-moi tranquille.

Esra resta immobile, comme figée par la brutalité de mes paroles. Je savais que je venais de la détruire, mais je ne pouvais m'en empêcher. Je tournai les talons, incapable de supporter sa vue un instant de plus. Je sortis de l'appartement, claquant la porte derrière moi, laissant derrière moi tout ce que j'avais espéré, tout ce que j'avais rêvé.

À cet instant précis, je savais que rien ne serait plus jamais pareil entre nous. Le lien que nous partagions venait d'être irrémédiablement brisé, et c'était moi qui l'avais détruit. Mais alors que je conduisais dans les rues d'Istanbul, le cœur en miettes, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un étrange mélange de soulagement et de regret, comme si, en brisant Esra, j'avais aussi brisé une part de moi-même que je ne retrouverais jamais.

Les Passions de Sarah - Tome VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant