PDV : Maya
— Tu rentres bien tard ces temps-ci, Maya. Est-ce que tout va bien ? demanda Manon, me dévisageant avec une lueur d'inquiétude dans les yeux.Je m'arrêtai à mi-chemin dans le couloir, surprise par sa remarque. Elle avait raison, ces derniers temps, je passais de plus en plus de temps dehors après les cours avec Hayden et Cameron... Mais je n'avais pas vraiment envie de rentrer dans les détails.
— Oui, tout va bien, pourquoi ? répondis-je, tentant de paraître détachée.
— Non, non, pour rien. C'est juste que tu as l'air plus distraite, plus... ailleurs, ajouta-t-elle, son ton trahissant une certaine insistance.
Je haussai les épaules, un peu agacée par ses sous-entendus. Après tout, qu'est-ce que ça pouvait lui faire ?
— Mmh, si tu le dis. Je monte dans ma chambre, dis-je en me détournant.
— Attends, Maya ! s'exclama-t-elle subitement, sa voix un peu tremblante.
Je me retournai, la fixant un instant. Elle me regarda, puis baissa les yeux comme si elle hésitait à dire quelque chose. Après un long moment de silence, elle secoua la tête.
— Non, c'est bon, tu peux y aller.
Je fronçai les sourcils, perplexe, mais n'insistai pas. Je montai les escaliers, me dirigeant vers ma chambre. Mais même en fermant la porte derrière moi, les mots de Manon résonnaient encore dans ma tête. Elle n'avait pas tort... J'étais plus distraite ces derniers temps. Surtout depuis ma rencontre avec Cameron, en fait.
Cela faisait presque deux mois que je voyais Cameron chaque matin. Il n'était pas dans mon lycée, mais on faisait le même trajet pour aller en cours. Nos chemins se croisaient toujours à la même heure, à ce point précis, près de la boulangerie au coin de la rue.
Au début, je ne lui avais même pas prêté attention. Pour moi, il n'était qu'un autre visage parmi les passants, un inconnu comme tant d'autres. Je n'avais pas envie de socialiser, encore moins de nouer de nouvelles relations, surtout dans cette période où tout semblait s'effondrer autour de moi. Les rumeurs, les moqueries, les regards accusateurs... j'avais appris à m'isoler. J'évitais tout le monde, préférant marcher la tête baissée, perdue dans mes pensées.
Mais Cameron, lui, avait une manière bien à lui d'attirer l'attention. Il n'était pas du genre à rester silencieux ou à passer inaperçu. Les premières fois où je l'avais remarqué, il sifflotait joyeusement en marchant, les écouteurs vissés dans les oreilles. Il avait cette allure décontractée, un sac jeté sur une épaule, ses cheveux en bataille comme s'il sortait tout juste du lit. Il ne semblait jamais pressé, toujours à traîner des pieds, comme si le temps ne comptait pas pour lui.
Un matin, alors que je me dirigeais comme d'habitude vers l'arrêt de bus, il s'était approché de moi, souriant de toutes ses dents.
— On fait toujours le même chemin, toi et moi. Ça commence à devenir une habitude, tu trouves pas ?
Je l'avais regardé, étonnée qu'il m'adresse la parole. J'avais à peine hoché la tête avant de m'éloigner sans répondre. À ce moment-là, je n'avais pas envie d'interagir. J'étais tellement habituée à ce que les gens m'évitent ou me jugent que son approche amicale me paraissait suspecte. Pourquoi me parlerait-il, alors qu'il ne me connaissait même pas ?
Mais Cameron ne semblait pas se laisser décourager par mon attitude distante. Chaque matin, il tentait de démarrer une conversation, toujours avec ce même sourire détendu.
— Hé, t'es dans quel lycée, toi ? Moi, je vais au lycée Saint-Charles, c'est juste à côté du tien, je crois.
Au début, je me contentais de répondre par monosyllabes ou de l'ignorer. Mais Cameron était persistant, d'une manière presque agaçante. Il continuait de parler, peu importe si je répondais ou non. Il racontait des anecdotes sur ses journées, comment il avait failli rater le bus ou comment il avait trouvé un raccourci pour éviter la foule à l'entrée de son lycée. Rien de très important, mais je me surpris à l'écouter malgré moi.
Un jour, après des semaines à faire semblant de ne pas l'entendre, je finis par lui répondre.
— Pourquoi tu me parles tout le temps ? avais-je demandé d'un ton plus sec que je ne l'aurais voulu.
Il avait ri doucement, comme si ma question le faisait sourire.
— Parce que tu es toujours là, et moi aussi. Autant rendre ce trajet moins ennuyeux, non ? On est presque voisins, on pourrait être amis.
Amis ? Le mot m'avait surpris. À ce moment-là, je ne voyais pas comment on pouvait devenir amis, surtout avec quelqu'un que je connaissais à peine. Mais, pour une raison que je ne comprenais pas, Cameron continuait d'essayer, et au fil des jours, il réussissait à briser petit à petit la carapace que je m'étais construite.
Un autre matin, il m'avait tendu un muffin en me rejoignant à l'arrêt de bus.
— Tiens, c'est pour toi. C'est de la boulangerie du coin, ils en font des trop bons. J'en ai pris deux, alors autant partager.
J'avais hésité avant de prendre le muffin. Je n'avais jamais été douée pour accepter la gentillesse des autres, mais son geste m'avait touchée.
— Merci, c'est gentil, avais-je dit en baissant les yeux.
À partir de là, les choses avaient changé. On avait commencé à discuter plus souvent, de choses simples, banales, comme nos trajets, nos journées ou la météo. Peu à peu, Cameron était devenu une présence familière, quelqu'un qui, sans que je le réalise vraiment, apportait un peu de légèreté dans mes journées.
Je ne savais pas encore si je pouvais le considérer comme un ami, mais il était la première personne depuis longtemps à me regarder sans jugement. Il ne savait rien des rumeurs, ni des moqueries que j'endurai au quotidien. Pour lui, j'étais juste Maya, la fille qui prenait le même chemin que lui pour aller en cours. Et ça me faisait du bien.
Finalement, ce trajet, qui était autrefois un moment de solitude pesante, était devenu un moment où je pouvais respirer, juste avant de replonger dans l'enfer du lycée. Cameron me rappelait que tout le monde ne me voyait pas comme cette "folle" que les autres prétendaient que j'étais. Il ne cherchait pas à savoir pourquoi j'étais si souvent silencieuse ou pourquoi je semblais perdue dans mes pensées. Il était juste là, avec son sourire, ses blagues et ses muffins, et d'une manière ou d'une autre, ça m'apaisait.
Ainsi, chaque matin, je me retrouvais presque impatiente de voir Cameron. Parce que pendant ces quelques minutes, je pouvais être moi-même, sans masque, sans crainte. Juste une fille qui marche aux côtés d'un garçon, partageant des morceaux de quotidien, loin des regards des autres.

VOUS LISEZ
L'ombre du Parapluie
RomanceMaya menait une existence terne, essayant tant bien que mal de naviguer dans une vie qui semblait n'avoir aucun sens. Jusqu'au jour où tout bascula. Sa meilleure amie, Amy, la seule lumière dans son monde obscur, fut brutalement arrachée à elle, ass...