PDV : Hayden
- Flashback -La dernière livraison de la nuit était toujours la plus dure. Il était presque cinq heures du matin, les rues étaient désertes, seulement éclairées par des réverbères fatigués. Le genre de rue où le silence devient oppressant, et où les ombres semblent plus menaçantes qu'elles ne le sont vraiment. J'avais l'habitude de ce trajet, toujours le même chemin, toujours la même adresse. Un appartement miteux dans un immeuble délabré, où l'odeur de la moisissure se mélangeait à celle du désespoir.
Cette fois, le client était un homme que je n'avais jamais vu avant. Il était là, devant moi, les yeux rouges, hagard, tremblant. Un vrai toxico, dans un sale état. Il me regardait comme s'il voyait en moi son prochain shoot, la solution à son enfer quotidien. Pendant un instant, l'image d'Amy a traversé mon esprit. Si elle me voyait là, devant ce type prêt à ruiner encore un peu plus sa vie, que penserait-elle de moi ? Elle essaierait de me rappeler qui j'étais, me dirait que je ne devais pas aider ce mec à se détruire davantage.
J'aurais pu l'écouter, m'arrêter. Mais dans cet instant, j'ai choisi de ne pas l'entendre.
— Tiens, t'as ce que tu veux, dis-je froidement, lui tendant le paquet.
Il attrapa la drogue d'une main tremblante, mais quelque chose me retenait. Je ne pouvais pas juste m'en aller comme ça. Le voir dans cet état, totalement déconnecté de la réalité, m'a fait bouillir de l'intérieur. Je sentais la colère monter, une rage que je ne contrôlais plus vraiment.
— Tu te rends compte de ce que tu fais à ta vie ? demandai-je, ma voix grondant.
Il ne répondit pas. Il était déjà trop loin, perdu dans son monde. Et c'est là que ça a dérapé. Avant même de comprendre ce que je faisais, mes poings se sont serrés, et je l'ai frappé. Pas une fois, mais plusieurs, jusqu'à ce qu'il soit à terre, gémissant de douleur.
— T'es malade, mec ! lâcha-t-il entre deux souffles. Je vais appeler mon chef. T'as aucune idée de qui tu viens de frapper !
Je reculai, soudain pris de panique. Marco ne tolérerait jamais une telle erreur. Il allait me faire payer pour ça, c'était certain. Le type se redressa péniblement, le visage tuméfié, mais ses yeux brûlaient de haine.
Je me sentais pris au piège. J'avais voulu bien faire, empêcher ce gars de se tuer à petit feu, mais au final, je venais peut-être de signer ma propre condamnation. Cette nuit-là, en rentrant chez ma grand-mère, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander si j'avais fait le bien ou le mal. Je me dégoûtais moi-même, comme si la frontière entre la bonne décision et la mauvaise s'effaçait chaque jour un peu plus.
Le matin commençait à poindre quand je suis arrivé chez ma grand-mère. La petite maison qui autrefois sentait les plats mijotés et l'amour était devenue aussi morne et triste que la maison de mes parents. Tout y respirait la maladie, la défaite. Je m'écroulai sur le canapé, incapable de trouver du réconfort, et sombrai dans un sommeil agité.
L'après-midi, je me suis réveillé avec le soleil déclinant à travers les rideaux jaunis. Je traînai jusqu'au terrain, là où j'étais supposé retrouver les autres gars du gang. Mais aujourd'hui, ils n'étaient pas là. Pour une fois, le lieu était désert, et je me retrouvai seul, assis sur un vieux banc rouillé. Une cigarette à moitié consumée pendait entre mes doigts, ses volutes de fumée se mélangeant à mes pensées sombres.
Je regardais devant moi, perdu, en train de me demander si j'étais encore quelqu'un de bien, ou si j'étais devenu un monstre. Tous ces choix, toutes ces erreurs, tout ça pesait lourd sur ma conscience. À chaque coup que je donnais, à chaque mensonge que je racontais, je m'éloignais un peu plus de la personne que j'avais été. C'était comme si le garçon que j'avais été, celui qu'Amy connaissait, s'effaçait peu à peu.
Et puis, je l'ai vue. Amy.
Elle s'approchait doucement, comme si elle avait peur de m'effrayer ou de me provoquer. Son visage était marqué par l'inquiétude, mais aussi par une détermination que je reconnaissais bien.
— Hayden, commença-t-elle d'une voix douce.
Je levai les yeux vers elle, les traits fatigués, les cernes creusés par des nuits trop longues.
— Amy... qu'est-ce que tu veux encore ? demandai-je, mais sans la fermeté que j'aurais voulu y mettre. Mon ton trahissait une lassitude que je ne pouvais plus cacher.
Elle s'assit à côté de moi, et pour un instant, tout sembla redevenir comme avant, comme si le monde n'avait pas encore pris cette tournure sordide.
— Je veux juste te parler, comme avant. Je veux qu'on puisse se retrouver, sans tout ce... tout ce bordel autour de nous, répondit-elle.
Je soupirai et jetai ma cigarette au sol, l'écrasant sous mon pied avec frustration.
— Amy, tu sais très bien que c'est pas possible. Ce que tu veux... ça n'existe plus. Moi, j'existe plus comme avant.
Elle secoua la tête, refusant d'abandonner.
— Tu existes encore, Hayden. T'es toujours là, quelque part, sous ce masque. Je sais que tu te caches derrière tout ça, mais j'ai vu des moments où tu es encore toi, où tu es encore ce garçon que j'ai connu.
Ses paroles me touchèrent, mais je ne pouvais pas y croire. Je la regardai, cherchant quelque chose, mais tout ce que je ressentais, c'était le vide.
— Peut-être que ce garçon a disparu pour de bon, murmurai-je. Peut-être que tu te fais des illusions.
— Non, insista-t-elle. Je le vois encore. On peut tout arrêter. Juste toi et moi. Je peux t'aider, on peut aller voir quelqu'un, trouver une solution. Tu n'es pas obligé de rester coincé ici, dans cette vie.
Ses mots pénétraient, lentement, me laissant entrevoir une sortie, une porte de secours. Mais avant que je ne puisse répondre, mon téléphone vibra. Le nom de Marco s'afficha à l'écran. Mon expression changea aussitôt. Mon corps se tendit, et ma voix se fit glaciale.
— Ouais ? J'arrive, lâchai-je en me levant d'un bond.
— Hayden, attends ! s'écria Amy en me suivant.
— Je dois y aller, Amy. C'est comme ça, répondis-je, évitant son regard.
— Non, tu n'es pas obligé ! Tu peux dire non !
Je serrai les poings, la colère revenant.
— Tu comprends pas, Amy ! Si je dis non, ils s'en prendront à toi, à ta famille. Tu veux vraiment risquer ça ?
Elle me regarda, désespérée, mais je savais qu'elle comprenait. J'étais piégé.
— Amy, j'aimerais pouvoir faire autrement, mais c'est pas possible. S'il te plaît, reste en dehors de ça.
Je la quittai, sans me retourner, mon cœur lourd, mais conscient que je ne pouvais plus faire machine arrière. Et pendant que je m'éloignais, je savais que je la perdais, encore une fois, et peut-être pour toujours.
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L'ombre du Parapluie
RomantizmMaya menait une existence terne, essayant tant bien que mal de naviguer dans une vie qui semblait n'avoir aucun sens. Jusqu'au jour où tout bascula. Sa meilleure amie, Amy, la seule lumière dans son monde obscur, fut brutalement arrachée à elle, ass...