Chapitre 12 : Riley

26 2 0
                                    

Je tiens la main de Cléo alors que nous marchons tranquillement, son petit corps sautillant à chaque pas. Il me raconte sa journée, sa voix joyeuse résonnant dans l'air du soir.

— Aujourd'hui, à la récré, on a joué à un jeu trop cool, commence-t-il, les yeux brillants. Mais les autres ne jouaient pas comme il faut, alors je leur ai dit qu'on devait faire comme dans Pokémon, avec des pouvoirs et tout !

Je ris doucement, attendrie par son enthousiasme.

— Et ils ont écouté ? demandé-je, amusée.

Il secoue la tête, l'air faussement contrarié.

— Non ! Ils voulaient juste courir partout comme des fous. Moi, je voulais qu'on ait des règles, tu sais, genre... si tu touches quelqu'un, il devient paralysé, comme dans les vraies batailles. Mais ils ont dit que c'était "trop compliqué".

Je souris en le regardant, touchée par cette manière qu'il a de vouloir structurer tout ce qu'il fait, même ses jeux.

— T'es vraiment sérieux quand il s'agit de jouer, toi, hein ? dis-je en secouant la tête, amusée.

— Bah ouais, sinon, c'est pas drôle ! dit-il en levant les bras au ciel, comme si c'était évident. Mais du coup, après, je suis allé jouer tout seul, et j'ai inventé mon propre jeu. Je me suis battu contre un Dracaufeu géant et... je l'ai battu ! Mais c'était dur, hein, parce que tu sais, il a plein d'attaques super fortes.

Il gonfle le torse fièrement, mimant des coups de poing dans l'air. Je ris encore, sentant un peu de tristesse poindre en même temps. Cléo a toujours eu un peu de mal à se connecter aux autres enfants de son âge. Il préfère souvent être dans son monde, dans ses histoires, et je le comprends. Mais ça me fait mal de savoir qu'il joue seul, parfois.

— C'est vrai que t'es vraiment fort, dis-je, essayant de le soutenir du mieux que je peux. Mais tu sais, la prochaine fois, peut-être que tu peux montrer aux autres comment jouer à ton jeu. Comme ça, vous pourrez tous être des dresseurs de Pokémon.

Il réfléchit un instant, ses petites mains tapotant son menton, comme s'il évaluait cette nouvelle stratégie.

— Ouais, peut-être. Mais ils doivent vraiment suivre les règles. Sinon, c'est nul.

Je ris à nouveau, et on continue de marcher. Son sérieux à propos des jeux me fait toujours sourire. C'est quelque chose de tellement Cléo, cette façon de vouloir bien faire tout, même dans ses moments de détente.

On arrive bientôt devant la maison de sa famille d'accueil, et je sens un poids se poser sur ma poitrine. Il relâche doucement ma main alors que nous nous approchons du portail, un peu comme s'il savait que c'était le moment où on devait se dire au revoir.

Il me regarde avec ses grands yeux brillants et je sens mon cœur se serrer. Ce gamin mérite tellement mieux que ce qu'il a. J'essaie de le voir aussi souvent que possible, de lui rappeler que je suis là, que je veille sur lui. Mais je sais que ce n'est pas assez.

Le soleil commence à descendre dans le ciel, projetant une lumière dorée sur les vieilles maisons qui bordent la rue. Nous arrivons enfin devant la maison de sa famille d'accueil. Une bâtisse terne et sans âme, un peu à l'image de ceux qui y habitent.

Je soupire. C'est toujours un moment difficile pour moi de le ramener ici. La famille qui héberge Cléo, les Lambert, ne sont pas particulièrement méchants, mais ils ne sont pas chaleureux non plus. Ils font juste leur boulot, rien de plus. Ils le nourrissent, lui donnent un toit, mais il n'y a aucune affection. Et ça me tue à chaque fois que je le laisse derrière ces murs.

Alors qu'on arrive devant le portail, je vois Mme Lambert, la femme qui s'occupe de lui, sortir sur le pas de la porte. Elle croise les bras, me dévisageant avec ce regard froid et méfiant qu'elle me lance à chaque fois que je viens.

Cléo me serre la main une dernière fois avant de me lâcher, tout sourire.

— Tu viens me voir demain, hein ? me demande-t-il.

Je hoche la tête en lui souriant, même si au fond de moi, je sais que ça ne dépend pas toujours de moi.

— Bien sûr, petit monstre. On fera une nouvelle balade après l'école, d'accord ? dis-je, en m'accroupissant pour être à sa hauteur.

Il hoche la tête avec enthousiasme et court vers la maison, sans se retourner. C'est toujours comme ça. Il part sans un mot de plus, et une partie de moi est soulagée qu'il n'ait pas à voir ce qui se passe ensuite.

Une fois qu'il est entré à l'intérieur, Mme Lambert s'approche de moi, son regard glacial me perçant comme des flèches.

— Écoute, dit-elle sèchement, je ne veux plus que tu traînes autour de cette maison. Cléo est sous ma responsabilité, et je ne tolérerai plus que tu viennes le voir comme ça. Tu me compliques déjà assez la vie.

Je serre les poings, luttant contre l'envie de la gifler. Cette femme, cette sorcière, elle ne connaît rien de nous. Elle ne sait pas à quel point Cléo compte pour moi, à quel point je me bats pour lui chaque jour. Elle n'est qu'une fonctionnaire avec un cœur de pierre qui se contente de remplir les cases.

— C'est mon petit frère, pas le tien, rétorqué-je, essayant de garder mon calme, même si ma voix tremble de colère. J'ai le droit de le voir. Il a besoin de moi. Toi, tu t'en fous. Tout ce qui t'intéresse, c'est le chèque que tu reçois chaque mois pour t'occuper de lui.

Elle lève le menton, prenant une posture arrogante, comme si elle n'était pas du tout affectée par mes mots.

— Il est sous ma garde légale, répond-elle d'un ton tranchant. Et si tu continues à venir ici sans autorisation, je vais en référer aux services sociaux. Je te jure que je peux rendre ta vie encore plus difficile.

Mon corps entier tremble d'indignation, mais je me force à ne pas réagir de façon impulsive. Elle attend que je fasse une erreur, que je lui donne une excuse pour m'empêcher de voir Cléo. Je refuse de lui donner cette satisfaction.

— Vas te faire foutre, lâché-je finalement, mes yeux la fusillant du regard.

Elle ne bronche même pas. Je lui fais un sourire forcé avant de lever ma main et lui faire un doigt d'honneur bien mérité. Je sais que c'est gamin, mais bordel, ça fait du bien.

Sans attendre sa réaction, je me retourne et m'éloigne, mon cœur battant encore de rage. Mes pas résonnent sur le trottoir, mes pensées bouillonnant de colère et de frustration. Chaque fois, c'est la même histoire. Chaque fois, elle me fait sentir impuissante, comme si je n'avais aucun droit sur Cléo. Comme si je n'étais rien d'autre qu'une gêne dans leur routine bien huilée.

Mais je ne lâcherai pas. Un jour, je le sortirai de là. Un jour, je serai capable de lui offrir un vrai foyer. Pas cet endroit froid et sans amour. Juste lui et moi, ensemble, comme on aurait dû l'être depuis le début.

Je resserre ma veste autour de moi, le vent de la fin de journée commençant à souffler un peu plus fort. Cléo mérite mieux, et je me battrai pour lui, peu importe ce que cette femme ou les services sociaux disent.

The Midnight GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant