Il fait étonnamment bon pour un après-midi de fin septembre. Le soleil, bas mais encore chaud, tape doucement sur ma peau. J'avance vers le parc, celui où Luther squatte toujours, et je sais qu'il sera là, assis sur notre banc habituel. Ça fait des années qu'on traîne ici, trois ans, presque tous les jours à la même heure. Je l'ai vu faire la gueule à la vie sur ce banc, et lui, il m'a vue grandir, prendre de mauvaises décisions, recommencer, toujours là, un point fixe dans ce bordel qu'est ma vie.
J'aperçois enfin sa silhouette affalée sur le banc, sa casquette vissée sur la tête, son manteau usé couvrant ses larges épaules. Il a cette allure nonchalante, l'air de se foutre de tout, mais je sais qu'il capte chaque détail autour de lui. J'arrive près de lui, un sandwich au thon dans la main, son préféré.
— Tiens, je lui dis en lui tendant le sandwich.
Il l'attrape sans un mot, comme s'il s'y attendait. Je m'assois à côté de lui et sors mon propre sandwich, au poulet cette fois. On reste là un moment à mâcher en silence, regardant les passants déambuler dans le parc. Une mère promène son gosse en poussette, un vieux couple se tient la main, comme dans un cliché à la con. Je les observe distraitement, mes pensées ailleurs.
Luther, avec sa voix grave et traînante, brise le silence.
— Alors, dans quelle épicerie t'as volé ça cette fois ? Il désigne mon sandwich d'un signe de tête avant de croquer dans le sien.
Je souris, mais c'est un sourire qui ne monte pas jusqu'aux yeux.
— Je l'ai acheté, pour une fois. Je peux plus tellement me permettre de voler toutes les épiceries du quartier... bientôt, ma photo sera placardée à chaque coin de rue. Je lâche un petit rire, mais ça sonne faux, et Luther le sait.
Il hoche la tête en rigolant doucement.
— Pas faux. T'es trop belle pour que les caméras t'oublient.
On continue de manger en silence, mais je sens son regard sur moi. Il sait que quelque chose cloche. C'est Luther, il me connaît mieux que je ne me connais moi-même, et il n'a pas l'habitude de me voir dans cet état. Lui, c'est l'expert des silences, de ces moments où tout est dit sans avoir besoin de parler. Mais pas aujourd'hui. Pas avec moi. Pas avec cette boule d'angoisse qui me ronge.
— Riley, dit-il enfin, la bouche encore pleine. T'as l'air bizarre. Qu'est-ce qui te tracasse ?
Je pourrais lui dire que j'ai envoyé balader un mec super chouette il y a 4 jours de ça, un gars vraiment sympa. Et que maintenant, je le regrette. Mais c'est trop tard. Ça n'a plus d'importance. Non, ce n'est pas vraiment ça qui me ronge aujourd'hui.
Je finis par lâcher un soupir, posant mon sandwich à moitié mangé sur mes genoux.
— J'ai deux mois de loyer en retard, Luther. Si je trouve pas 1600 dollars d'ici demain matin, je suis à la rue.
Il me regarde sans un mot pendant quelques secondes, sa mâchoire se contracte. Je sais qu'il cogite. Quand il parle enfin, son ton est sérieux, presque froid.
— Tu veux que j'aille péter la gueule à ton proprio ?
Je ne peux m'empêcher de sourire, malgré tout.
— Non, t'inquiète, ça serait tentant... Stanley est un sacré con, mais je pense pas que ça réglerait mon problème.
Il avale une nouvelle bouchée, haussant les épaules.
— T'as raison. Frapper ce bâtard, c'est du court terme. Mais bon, si t'as besoin, je peux braquer une petite épicerie pour toi. Promis, sans faire de victime.
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The Midnight Girl
RomanceRiley fait de son mieux pour garder la tête hors de l'eau, mais sa vie prend un tournant dramatique lorsqu'un événement tragique la pousse à fuir. Désespérée, ne sachant vers qui se tourner, elle cherche refuge auprès de Nathan, un garçon aussi énig...