Chapitre 68

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16 heures 30. Newcastle. Australie. 

...Swan...

Je déambulais dans les couloirs animés du Daily Telegraph, presque en pilote automatique. Depuis notre retour en Australie, j'y passais mes journées, préférant l'agitation de la rédaction à la compagnie de Derek. Deux semaines étaient passées, et je lui en voulais toujours autant d'avoir envoyé cette vidéo. La vidéo que j'avais effacée, la vidéo que j'aurais dû garder sous contrôle. Derek savait ce que cette vidéo représentait pour moi, la violence de ce souvenir. Et pourtant, il avait pris cette décision, brisant le dernier morceau de contrôle que je pensais avoir. Chaque jour, une question me hantait sans relâche, Damian avait-il vu cette vidéo ?

Je tentais de refouler cette pensée en me concentrant sur mon travail. Dalton, mon rédacteur en chef, m'avait confié une série de petites chroniques sur des faits divers de quartier. J'avais publié des articles modestes, une enquête sur des vols dans les boutiques du centre-ville, un reportage sur les groupes de jeunes qui se rassemblaient près du port. Rien de notable, rien qui pourrait éveiller un véritable intérêt, mais c'était le début. La publication de ces premiers articles m'avait donné un avant-goût de ce que je souhaitais vraiment accomplir.

Dalton, lui, ne cessait de me rappeler de ne pas perdre mon temps sur le sujet du Sculpteur, avec si peu d'informations concrètes. Pour lui, cet intérêt pour le Sculpteur frôlait l'obsession, et il ne voulait pas que cela empiète sur les articles plus « utiles » et « rentables » qu'il m'assignait au quotidien. À ses yeux, ce n'était qu'un mystère de plus, un nom parmi d'autres sans visage ni véritable histoire.

Mais je savais, au fond, que le Sculpteur était bien plus qu'un simple fait divers. C'était une énigme qui me fascinait autant qu'elle me terrifiait, et chaque fil que je tirais pour le comprendre semblait me ramener à des zones sombres que j'avais essayé d'oublier.
Malgré les mises en garde de Dalton, malgré ses sourcils froncés chaque fois qu'il me voyait plonger dans mes recherches, je n'avais pas l'intention d'abandonner. Car quelque part, sous cette façade de journaliste prudente, je restais cette fille formée à marcher dans les ombres.

Je poursuivais pourtant mes recherches en secret. J'avais trouvé un nom lié à lui dans des forums cachés du dark web, des transactions douteuses en lien avec des galeries d'art privées et même une connexion potentielle avec une série de disparitions en Europe. Tout était fragmenté, comme un puzzle où les pièces semblaient se refuser à moi. À plusieurs reprises, j'avais volontairement laissé des traces, espérant attirer son attention, le provoquer pour qu'il me remarque.

Le dark web n'était pas un terrain inconnu pour moi. J'y avais plongé pour la première fois avec Leo, des années auparavant. C'était dans l'une de ces nuits sans fin, lorsqu'on se glissait dans la chambre d'amis transformée en petit repaire technologique. Leo, toujours plus doué que moi avec un clavier, me montrait comment naviguer dans les profondeurs du web, en évitant les pistes traçables. Nous avions commencé par des forums innocents, puis des sites de troc, avant de tomber sur des échanges bien plus sombres. 

Ce souvenir de Leo m'avait accompagnée à chaque connexion depuis notre retour en Australie. J'avais recommencé à explorer des forums, des salles de discussion anonymes, traçant des fils rouges entre les échanges et les pseudonymes. Parfois, j'attrapais un indice, un nom murmuré, une transaction suspecte ou un message crypté qui, à mes yeux, portait la signature de cet homme insaisissable. Le Sculpteur. J'avais appris que ce n'était pas un simple pseudonyme, mais une référence à son œuvre brutale, presque artistique. Il n'était pas qu'un criminel, il se voyait comme un créateur, et chaque meurtre comme une sculpture d'horreur.

En arrivant à mon bureau, cet espace impersonnel parmi les autres, sans photo ni bibelot, où les seules traces de moi étaient des piles de dossiers et d'articles en cours. Mon regard fut immédiatement attiré par quelque chose qui n'aurait pas dû s'y trouver. En plein milieu du bureau, un paquet rouge flamboyant reposait, soigneusement déposé. Le papier, lisse et scintillant sous la lumière, contrastait avec le désordre habituel de mes documents.

NightHawkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant