27. Ness

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Il me regarde enfin. Certes, il ne comprend pas ce que je fais, mais je préfère ça. Tout plutôt qu'il baisse encore les yeux. Je les ai vus, ces fragments de sa vie, cette solitude qui l'a rongé, ces blessures qu'il dissimule. Je n'aurais pas dû. J'espérais qu'il me bloque, qu'il ait suffisamment de volonté pour me repousser, mais il n'a pas réussi. Et j'ai vu des choses qu'il ne voulait pas partager.

Je croise les bras, le fixant intensément.

Je ne suis pas ton père, Matheo. Je ne joue pas avec les esprits des autres, je ne les manipule pas ni ne les brise pour mon plaisir. Je souhaitais que tu me bloque. J'ai vu ce que tu voulais cacher, mais j'en aurais préféré l'ignorance. Mais je suis honnête avec toi, même si tu n'y crois pas.

Je marque une pause, mon ton s'adoucit.

Regarde dans mon esprit. Regarde, et nous serons suffisamment quittes pour que tu n'aies plus jamais à baisser les yeux devant moi.

Il me fixe, incrédule, et je sens le poids de ses doutes. Mais il ne détourne pas le regard, et c'est déjà ça.

Tu es sûre de ce que tu fais ? demande-t-il enfin, une lueur d'hésitation dans la voix.

Il hésite encore, alors j'ajoute, sèchement cette fois :

Comme si tu n'en rêvais pas, Jedusor. Le sort est simple.

Je lui montre rapidement les mouvements, la formule. Je le corrige lorsqu'il tente de répéter le sort, il se reprend rapidement, pas assez vite pour ne pas m'agacer un peu. Mais il est sous pression, je n'en attends pas moins de sa part.

Le premier souvenir qu'il touche est un cri. Mon cri. L'écho d'une douleur insupportable qui résonne dans ma tête. Je revois mes entraîneurs, leur cruauté déguisée en discipline, les sortilèges Doloris qu'ils lançaient encore et encore pour m'endurcir. Puis le visage du ministre de la Magie, celui que j'ai tué, son regard figé dans une peur qui me hante toujours. Enfin, Cedric. Son sourire, si vivant, qui se superpose à l'image de son corps sans vie.

Stop.

Je ferme mon esprit d'un coup, développant une barrière mentale si forte que même moi j'ai du mal à croire que je l'ai érigée aussi vite. Je respire profondément, essayant de retrouver mon calme, et je relâche la tension dans mes épaules.

Tu es entré. Tu as vu. Nous sommes quittes, Jedusor. Maintenant, concentre-toi sur l'essentiel : apprendre à bloquer.

Il ouvre la bouche, comme s'il allait poser une question, mais il se retient. Bien. Je ne veux pas en entendre parler. Pas maintenant, et peut-être jamais.

L'entraînement reprend. Il progresse. Lentement, maladroitement, mais il progresse. À la fin, il parvient à ériger une barrière mentale. Elle n'est pas parfaite, mais elle suffit pour tenir face à une attaque de base. C'est un début.

Il s'effondre presque de fatigue quand je lui dis que ça suffit pour aujourd'hui.

C'est bien, lui dis-je simplement. Repose-toi.

Je lui tends les livres que j'ai pris dans la bibliothèque avant de le rejoindre. Le poids des pages entre mes mains me rappelle que chaque sortilège, chaque mot dans ces livres, peut le sauver.

Apprends ces formules. Pratique autant que tu le peux. Si tu veux survivre, il faudra que ça devienne naturel.

Il hoche la tête, mais ses yeux fatigués me disent qu'il ne pense qu'à s'allonger quelque part.

Je le regarde sortir de la salle, traînant les pieds, et je me permets enfin de relâcher la façade. Mon cœur bat encore à tout rompre.

Cedric. Je ne voulais pas que Matheo sache, mais c'était trop tard. La douleur s'infiltre, sournoise, et je la chasse d'un coup de tête, forçant mon esprit à oublier pour pouvoir avancer.

L'oubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant