L'oubliée

53. Matheo

Elle est là, assise dans ce foutu fauteuil, la tête dans ses mains. Elle pourrait presque paraître vulnérable. Mais je ne peux pas me laisser avoir. Pas maintenant, pas encore. Un seul de ses sourires me ferait flancher, mais je dois me protéger. Je sais qu'il faut que je parte de cette vie. Mais elle a raison... je suis coincé. Tout ça me dégoûte, mais je n'ai pas d'autre choix que de me taire, de faire comme si ça allait.

- On ne devrait pas rester ici. Il vaudrait mieux aller dans nos chambres.

J'avais oublié Draco, qui ne nous quitte pas des yeux. Non, en réalité, il la regarde, elle. Pas moi. Ness se redresse lentement, se dirigeant vers la porte, son pas mesuré, presque mécanique. Elle est la Ness froide que j'ai rencontrée à la rentrée. Elle parle, sans même se retourner :

- Montre la sienne à Matheo. J'ai des choses à faire.

- Ness...

Avant que Draco puisse dire quoi que ce soit, elle franchit la porte sans hésiter. Sans un regard.

- Suis-moi, je vais te montrer. Les elfes ont déjà apporté tes affaires. Tu seras dans la chambre à côté de Ness.

Je suis Draco sans vraiment y réfléchir. On arrive dans la chambre. Elle est grande, spacieuse, mais sombre, comme tout ici. Une image fidèle des gens qui vivent dans cet endroit : des ombres cachées.

- Tu ne peux pas l'accuser comme tu le fais.

Draco me parle, d'un ton qui ne me laisse aucune échappatoire.

- De quoi tu parles ?

- Ness. Oui, ici elle est différente, mais tu le savais. Elle ne t'a jamais caché son côté sombre. Tu ne peux pas la rejeter, l'insulter comme tu l'as fait.

Je le fixe, son regard est dur et il y a quelque chose d'inquiétant dans sa voix. Peut-être qu'il a raison, mais je suis trop énervé pour accepter sa leçon.

- Je ne suis pas d'humeur, Draco.

- Non, tu vas m'écouter.

En un instant, je me retrouve plaqué contre le mur. Jamais il ne s'énerve à ce point contre moi. Je pourrais m'en défaire, mais une partie de moi décide d'écouter. Après tout, ça m'évite d'avoir à parler, à expliquer tout ce qui me ronge à l'intérieur.

- Tu te sens pris au piège ? Félicitations, elle se sent prise au piège depuis sa naissance. Tu as vu quelqu'un mourir ? Elle en a vu, à un âge où on joue encore à la poupée. On t'ordonne de faire ce que tu ne veux pas faire ? C'est son cas depuis toujours.

Je fronce les sourcils. Il ne comprend pas.

-  C'est elle qui a proposé l'exécution. Comme on demande du sel à table.

- Mais t'es con ? Évidemment que cette prof, qui au passage était torturée depuis des jours, allait mourir. Elle ne pouvait rien pour elle. Le Seigneur des Ténèbres aurait bien pu laisser Bellatrix utiliser le sortilège Endoloris à l'infini comme avec les Londubat. Elle, c'est une sadique. Ness, non. Elle a simplement dit ce qu'il fallait, comme toujours. Elle s'est protégée car si elle ne le fait pas, personne ne le fera. Et toi, t'es là, tu lui dis pendant des jours à quel point tu tiens à elle, tu réussis à franchir ses barrières, et pourquoi ? Pour te barrer et finir par la traiter comme une merde ? Comme si elle était sa mère ? Jamais. Pas sous mon toit, Matheo.

Sa respiration est saccadée par sa rage. Draco la défendra toujours, ça ne changera pas. Mais moi, ça m'atteint plus que je ne voudrais l'admettre.

Je me tais. Il ne me laisse aucune chance de répliquer. Il la protège, peut-être pas suffisamment, mais il fait ce qu'il peut. Et peut-être qu'il a raison, peut-être que je devrais la défendre aussi.

Ses mots ont beau commencer à faire mouche, mon égo est blessé. Merde, pourquoi personne ne veut se mettre à ma place ?

- T'as peur, toi aussi. T'as peur de ce qu'elle devient, ça se voit. Tu ne valides pas ce qu'elle fait.

J'ai visé pile où il faut, je vois à sa tête qu'en effet, il a peur qu'elle devienne comme sa mère. Un monstre.

- Je n'ai pas à valider. Je suis reconnaissant qu'elle soit toujours en vie. Je ne supporterais pas le quart de ce qu'elle a vécu. Et toi non plus.

Il me relâche et s'en va. Je suis seul dans ce manoir de merde. J'ouvre la fenêtre et m'allume une cigarette.
Je me rappelle de ces moments où Ness m'a avoué un à un certains de ses secrets. Le Seigneur des Ténèbres a tué le seul gars qu'elle n'ait jamais apprécié. On l'avait torturée pour l'entraîner depuis qu'elle était gamine. C'est une vie brisée, pas une vie qu'on choisit. Peut-être que j'ai été trop dur avec elle.

Mais putain, ça me terrifie. Peut-être que je suis juste trop faible pour comprendre. Parce qu'au fond, ce qui me fait peur, c'est de me réveiller et de ne plus voir cette lueur au fond de ses yeux. Elle ne la montre que rarement. Quand elle rit ou sourit vraiment. Cette lueur me donne envie de la protéger. Mais ce soir, elle ne l'avait pas. Ce soir, elle était la marionnette du Seigneur des Ténèbres.

Je suis terrifié de ne jamais revoir cette petite étincelle. Elle ne l'avait pas ce soir. Ça fait plusieurs jours en fait qu'elle ne l'a plus. Je l'aime. Et si un jour elle ne l'a plus, alors je l'aurai perdue pour de bon. Je ne veux pas me réveiller et me rendre compte que je suis à côté d'un monstre. Je pourrais tout lui pardonner en réalité, penser à son passé et me dire que ce n'est pas sa faute. Mais alors, qu'est-ce qui la retiendrait de devenir le bras droit du sociopathe de Voldemort ?