L'oubliée

64. Ness

Je viens de quitter Matheo dans le couloir. Le simple fait de croiser son regard empêche cette illusion fragile que tout va bien, parce que non, rien ne va. Bientôt, je ne pourrai plus savourer le bonheur d'être dans ses bras. Mais lui, il vivra.

Cette pensée m'enracine. Elle guide chacun de mes pas alors que je me dirige vers le bureau de Rogue. Ma décision est prise.

Il est là, penché sur son bureau, une plume à la main, probablement en train de corriger des copies. La lumière des bougies accentue les rides au coin de ses yeux. Lorsqu'il lève la tête, son regard est déjà acéré.

— Miss Lestrange. Vous semblez entrer et sortir comme bon vous semble ici. Toquer n'est visiblement pas dans vos habitudes ?

— Non, professeur. La conversation que nous devons avoir est bien trop importante et confidentielle pour que je perde du temps à attendre devant une porte.

Il plisse les yeux, visiblement surpris par mon aplomb. Pendant une fraction de seconde, je vois son esprit tenter de m'analyser, de deviner mes intentions. Il échoue. J'attrape l'amulette accrochée à mon cou et la pose sur son bureau. Avec un simple mouvement de baguette, j'active le sort de protection. Désormais, personne ne pourra nous entendre. De toute façon, le bureau de Rogue est l'un des seuls à Poudlard dépourvu de portraits, et cette discrétion me convient parfaitement.

— Dites-moi, finit-il par lâcher, son ton dénué d'émotion.

Première étape : lui prouver que je sais exactement à qui j'ai affaire.

— Vous êtes un personnage complexe, Severus Rogue. Prince de Sang-Mêlé, bien que ce surnom soit presque oublié. Vous étiez à Serpentard, mais votre cœur, lui, penchait pour une Gryffondor. Elle aurait pu vous choisir, mais non. Elle a préféré James Potter. Ensemble, ils ont eu un fils. Un fils pour lequel elle a sacrifié sa vie. Et depuis six ans, ce même fils vous oblige à ravaler votre douleur à chaque cours. Impossible de passer à autre chose.

Il serre la mâchoire. Touché. Je continue sans lui laisser le temps de répondre.

— Alors, dites-moi, où va votre loyauté ? Êtes-vous un infiltré parmi les Mangemorts ou parmi l'Ordre du Phénix ? Êtes-vous fidèle à Voldemort, celui qui a assassiné la seule femme que vous ayez jamais aimée ? Ou à Dumbledore, que vous savez condamné ?

— Je suis fidèle à notre maître, réplique-t-il froidement.

Deuxième étape : dissiper ses doutes. Je dois gagner sa confiance, à tout prix.

— Vous mentez mal, professeur. Moi aussi, j'ai expérimenté l'amour.

Son regard change, légèrement intrigué, mais toujours méfiant.

— À l'époque, je m'étais rapprochée de Cedric Diggory. Vous le saviez ? Il était gentil avec moi. Bien sûr, je repoussais ses tentatives de flirt. Mais il comptait pour moi. Il me faisait sourire. Et pourtant, notre maître l'a tué. Je n'ai plus souri pendant un an.

— Où voulez-vous en venir ? demande-t-il, visiblement agacé.

C'est maintenant ou jamais. Carte sur table.

— Je ne l'aimais pas. Et pourtant, sa mort a ébranlé la confiance que j'avais en cette cause. Alors imaginez, professeur, ce que cela me ferait de voir celui que j'aime être assassiné par Voldemort lui-même. Cela me briserait. Et à cet instant précis, mon ennemi deviendrait celui qui m'aurait arraché ma raison de vivre. Alors, non, je ne crois pas une seconde que vous lui êtes loyal.

— Quel est le point, Miss Lestrange ? demande-t-il, son ton oscillant entre curiosité et irritation.

— Je ne vous piège pas. Donnez-moi du Veritaserum si cela peut vous rassurer.

Il hésite, mais je ne lui laisse pas le temps de tergiverser.

— Les ordres ont changé pendant les vacances, professeur. Ma nouvelle cible, ce n'est plus Dumbledore.

Il redresse la tête, son intérêt piqué au vif.

— C'est-à-dire ?

— Draco sera seule sur cette mission la. Le seigneur des ténèbres veut que je tue Matheo. L'homme dont je suis tombée amoureuse. Que feriez-vous, vous, s'il vous avait ordonné d'abattre Lily ?

Le silence s'installe. Dans ses yeux, je vois qu'il comprend. Il comprend à quel point je suis perdue, désespérée, prête à tout pour empêcher cela.

— Que voulez-vous ? finit-il par murmurer.

— Je pense que vous êtes un atout pour l'Ordre. Que vous faites tout cela pour des raisons bien plus grandes. Je pense aussi que vous refusez d'utiliser des enfants. Vous avez accepté un Serment Inviolable pour protéger Drago. C'est pour cela que je crois pouvoir vous faire confiance.

— Et alors, quel est votre plan ? Pourquoi devrais-je me mettre en danger pour vous aider ?

— Vous serez médiateur. J'ai une offre pour l'Ordre : la vie de Matheo, en échange de toutes les informations nécessaires pour vaincre et affaiblir le maître. Je connais ses faiblesses.

— Comment savoir que vous ne mentez pas ?

— Je leur donnerai un avant-goût. Et le reste, je le laisserai à Matheo. Il coopérera. Il le déteste.

Il reste silencieux. Puis, enfin, il parle.

— Vous ne vous êtes pas incluse dans cet arrangement.

— Je sais.

— Pourquoi ? Vous serez une traître. Il voudra votre mort. Pourquoi ne pas vous sauver, vous aussi ?

— Parce que je ne peux pas. Ce bracelet empoisonné m'en empêche. Si je fuis, il me retrouvera et il me tuera et si je l'arrache alors le poison s'occupera de moi. Je ne suis pas lâche professeur. Je ne suis pas là pour moi. Je vous demande de m'aider à sauver Mathéo tout comme vous vouliez qu'on vous aide à sauver Lily. Qu'Auriez vous fait à ma place ?

Il détourne les yeux, mais je vois dans son expression qu'il a pris sa décision.

— Je vais en parler à quelqu'un en qui j'ai confiance, conclut-il.