L'oubliée

23. Ness

J'aperçois un Sombral. Cette folle de Luna avait peut-être pas tort. Peut-être que je leur ressemble, finalement. Ce sont des maudits, eux aussi. Je m'approche et lève la main pour en caresser un.

— Euh... Je veux pas remettre ta santé mentale en jeu, princesse, mais là, tu caresses l'air.

— T'es encore là, toi ? Tu les vois pas ?

Il n'a jamais vu quelqu'un mourir sous ses yeux. Pas comme moi. Pas ce moment où tu comprends que l'âme est partie, qu'elle ne reviendra pas.

— Viens par là, Jedusor.

— Pourquoi ? Je vais subir le même sort que l'arbre ?

— T'as peur de moi, maintenant ?

— T'as beau être carrément terrifiante, je peux pas avoir peur de toi.

Il s'approche. J'attrape son poignet et lui fais toucher la créature invisible.

— C'est quoi cette merde ?

— Un Sombral. C'est une créature de l'ombre. Un fantôme équestre, si tu veux. Il ressemble à un cheval avec des ailes. Il plane dans les airs avec une grâce étrange. Une danse macabre silencieuse.

— Pourquoi je le vois pas ?

— C'est sa malédiction. Tous le craignent pour ça. On le voit que quand on a vu quelqu'un mourir. Pas juste mourir, hein. Mourir sous tes yeux.

Il reste silencieux, mais il garde sa main posée sur le cou du Sombral.

— Il faut rentrer, Jedusor.

— C'est pas moi qui suis venue pour détruire une forêt.

Je lève les yeux au ciel. On retourne au château. Maintenant que je suis plus ou moins calmée, je dois parler à Draco.

Et merde, j'avais oublié la fête. La salle commune est déjà bondée. Les Serpentard ont cette capacité étrange à transformer chaque soirée en chaos organisé. Les plus jeunes, les premières et deuxièmes années, sont regroupés dans un coin, riant aux éclats devant des jeux qui semblent ridiculement enfantins. Des verres volent dans les airs grâce à des sorts mal maîtrisés, renversant des éclaboussures d'un liquide qui sent vaguement la bière au beurre.

Les plus âgés, eux, se tiennent à l'écart, formant des petits cercles. Les conversations sont plus feutrées, mais il suffit de regarder leurs yeux pour deviner qu'ils ont déjà un peu trop bu. La lumière verte des chandeliers ensorcés éclaire leurs visages, leur donnant des airs d'apparitions fantomatiques. Quelqu'un joue une musique ensorcelante, un mélange de tambours rythmés et de chants hypnotiques. L'ambiance est lourde, chargée d'une tension électrique, mais familière.

Ces fêtes finissent rarement bien. Ça dérape toujours à un moment. Un sort mal placé, une dispute qui éclate, une vengeance qui mijotait depuis trop longtemps. Pourtant, y'a quelque chose de rassurant là-dedans. Ce genre de souvenirs, tu les oublies jamais vraiment.

Je croise Pansy dans notre chambre. Elle est sublime dans la robe qu'elle m'a montrée plus tôt, en train de peaufiner son rouge à lèvres devant le miroir. Mais son regard est glacial. Elle fait clairement la gueule.

Je ne souhaite pas me justifier, mais juste apaiser les choses.

— Pansy, écoute, je...

Elle sort de la chambre sans un mot, sa robe virevoltant derrière elle. Peut-être que c'est mieux comme ça. Sa famille partage l'idéologie du sang pur, mais ce ne sont pas des vrais Mangemorts. Elle peut encore s'en sortir.

Je secoue la tête et ouvre ma penderie. Ma garde-robe est bien moins garnie que celle de Pansy. Je choisis une robe noire, simple, à manches longues pour cacher ma marque. Moulante, mais avec un dos nu plongeant qui la rend spéciale. On peut y voir quelques cicatrices, mais personne n'ose jamais en parler. Pas à moi.

Je file à la douche, me maquille légèrement. Rien de trop. Ce soir, j'ai besoin de me fondre dans l'ambiance.

La fête bat son plein. Les rires et les cris s'entremêlent, les sorts fusent parfois dans un éclat lumineux. Certains dansent au rythme d'un morceau ensorcelé, d'autres se lancent dans des jeux plus risqués, pariant sur qui finira sous la table le premier.

— Ness.

Je me retourne. Draco. Il a l'air fatigué, mais sa voix est posée. On s'éloigne du tumulte et trouvons un coin tranquille.

— Comment tu vas ? je demande.

— Mieux. Severus m'a remis sur pied.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Notre nouveau "partenaire" m'a saoulé. J'étais... disons, pas bien dans ma tête. Une petite crise d'angoisse. Et Potter est arrivé. Il a commencé à dire qu'il savait ce que j'avais fait. Il sait pour le collier. Que c'était moi. On s'est balancé des sorts. Rien de spectaculaire, mais là... il a utilisé un sort que je connaissais même pas. Sectumsempra.

Je plisse les yeux, sentant une colère sourde monter en moi.

— J'aurais dû m'occuper du collier.

— Tu l'avais empoisonné. Chacun son rôle. Bref, profitons de la fête.

Il me tapote l'épaule et disparaît dans la foule. Je reste là, perplexe.

— Je te préfère définitivement sans l'uniforme.

Je sursaute. Matheo. Toujours là, toujours trop proche.

— Tu m'as déjà vue sans uniforme, avant, Matheo.

— Oui, OK. Mais je te préfère définitivement en tenue de soirée.

Je remarque qu'il me fixe un peu trop longtemps, son regard glissant sur moi comme s'il essayait de deviner ce que je pensais. Je détourne les yeux, mal à l'aise. Il y a une tension étrange entre nous, quelque chose que je n'ai pas envie de décoder. Pas ce soir.

— Profite de la soirée, Jedusor, je lance en tournant les talons.