L'oubliée

51. Matheo

Le silence était suffocant, lourd, comme si l'air dans la pièce avait été aspiré par une force invisible. Dès que nous avions franchi la porte de la salle de réception, tous les regards s'étaient tournés vers nous. Des yeux froids, calculateurs, jaugeaient chaque mouvement, chaque respiration. Mais aucun ne pesait autant que celui de mon géniteur. Il était là, assis à l'autre bout de la table. Sa silhouette, élancée et anormale, semblait se fondre dans l'ombre, tandis qu'une lumière pâle et cruelle tombait directement sur lui, dessinant des contours presque surnaturels à son visage reptilien.

Ness et Draco avancèrent avec une grâce glaciale, parfaitement dans leur rôle.

- Maître.

Le mot glissa de leurs lèvres avec une aisance qui me glaça. Narcissa Malefoy, droite et impeccable, inclina la tête, presque mécaniquement, tandis que ses enfants fléchissaient le genou devant Voldemort. Je restai figé, mes muscles tétanisés par l'instinct de fuite qui hurlait dans ma tête. Une pression légère sur mon mollet me ramena à la réalité : Ness. Elle me faisait signe de suivre leur exemple.

Je me laissai tomber à genoux, la bouche sèche, le regard fixé au sol pour éviter de croiser celui de Voldemort.

- Relevez-vous et rejoignez-nous, dit-il, sa voix sifflante et glacée résonnant dans la pièce comme un ordre absolu.

Narcissa entraîna Draco vers un homme aux cheveux blonds et raides qui ne pouvait être que son père. Ness, quant à elle, s'approcha du Maître avec une assurance déconcertante avant de prendre place à sa gauche. Je la suivis d'un pas mal assuré et m'assis à côté d'elle, sentant chaque fibre de mon corps hurler que je n'avais rien à faire ici.

En face de Ness se tenait Bellatrix Lestrange, sa mère, reconnaissable entre mille. J'ai trouvé des avis de recherche dans le journal. Son regard brillait d'un mélange malsain d'admiration et de folie, fixé sur sa fille comme si elle était l'héritière de tout ce qu'elle considérait comme sacré. Une chaise vide restait à côté de moi, réservée à un retardataire.

- Mes chers fidèles, commença Voldemort, son ton presque doucereux masquant à peine la menace sous-jacente. Nous devons discuter de cette souillure qui envahit notre monde : ces sorciers qui s'intéressent à la vie des Moldus.

Un murmure approbateur traversa la table.

- Je pense même que Poudlard encourage cette dépravation, n'est-ce pas, Ness ?

- En effet, Maître, répondit-elle sans hésitation. Une spécialité pour étudier la vie moldue est offerte en sixième année.

Elle prononça ces mots avec un calme déconcertant, comme si elle parlait de la météo.

La porte s'ouvrit soudain, et le professeur Rogue entra. Il s'inclina brièvement avant de murmurer des excuses. Sans même jeter un regard dans ma direction, il prit la place vide à côté de moi.

- Severus, tu arrives à point nommé, dit Voldemort en agitant sa baguette.

Une femme lévita jusqu'au centre de la table, son corps tordu de douleur. Ses gémissements étaient faibles, mais perçants.

- Voici Charity Burbage, poursuivit Voldemort d'une voix mielleuse. Elle enseignait l'histoire des Moldus à Poudlard avant de prendre une année pour se... plonger dans leur monde. Quelle honte. Elle croit fermement que nous pouvons nous mélanger avec eux. Qu'en réalité nous ne sommes pas si différent.

La femme ouvrit les yeux, suppliante. Elle se tourna vers mon voisin.

- Severus... murmura-t-elle d'une voix brisée. Nous étions amis... Je vous en supplie...

Je jetai un coup d'œil à Rogue, espérant, à tort, voir une once de compassion dans son regard. Mais il restait impassible, comme une statue de marbre.

- D'après vous, que devrions-nous faire d'elle ? demanda Voldemort, un sourire cruel déformant ses traits. Ness, une idée ?

- Une exécution, répondit-elle d'un ton plat.

Mon cœur rata un battement. Cette fille que j'aimais, celle qui demandait de l'eau avec douceur, venait de prononcer cette sentence de mort avec une froideur qui me terrifiait.

Bellatrix éclata d'un rire strident, ravie.

- Merveilleuse idée, Maître ! Une mort lente, bien sûr.

- Nagini, murmura Voldemort.

Un serpent gigantesque se glissa sur la table. Son corps écailleux semblait briller à la lumière des bougies.

- Attaque.

Je détournai les yeux au moment où le serpent s'élança. Une douleur transperça mon bras : Rogue, me rappelant de me ressaisir. À ma gauche, Ness ne bougeait pas. Sa main se posa sur la mienne, froide et ferme, comme pour m'ancrer. Elle regardait la scène sans ciller, son visage toujours aussi fermé.

Je levai les yeux pour observer les autres autour de la table. Certains, comme Bellatrix, semblaient presque extatiques, tandis que d'autres, comme les Malefoy, arboraient des expressions tendues, effrayées. Mais aucun ne détourna le regard.

Et moi, je suffoquais.

C'est là que ça me frappa de plein fouet. Je n'avais aucune idée de ce dans quoi je m'étais embarqué. Tous ces mois où je pensais comprendre, où je m'étais persuadé que je pouvais jouer le rôle, être à leur hauteur... Tout ça, c'était des conneries. Je n'étais pas comme eux. Je ne serais jamais comme eux.

Mon père... Ce n'était pas un homme, c'était un monstre. Ness... Je ne savais même plus qui elle était. Et ces gens autour de la table, ils n'avaient plus rien d'humain.

Je devais partir. Et vite.

Mais comment ? Ness était là, si proche, et pourtant si loin. Est-ce que je pouvais seulement l'emmener avec moi ? Elle semblait trop enracinée dans ce monde. Trop brisée.

Un frisson me parcourut l'échine. Si je restais ici, je finirais comme eux. Vide. Glacial. Mort à l'intérieur.

Et ça, je ne pouvais pas le permettre.