L'oubliée

45. Ness

Je me réveille avec un mal de tête carabiné et la sensation que mon corps est en coton. Le plafond que je fixe m'est familier, mais il me faut un moment pour comprendre où je suis. Ce n'est pas ma chambre. La lumière du jour filtre à travers des rideaux d'un vert sombre, baignant la pièce dans une ambiance tamisée. J'ai déjà vu cet endroit... mais où ?

Un mouvement à côté de moi attire mon attention. Draco est affalé sur le lit, torse nu, un bras pendant sur le bord du matelas. Il dort encore profondément, un léger ronflement s'échappant de ses lèvres entrouvertes. Je grimace. Super. On a encore fait n'importe quoi hier soir.

Je me redresse avec précaution. Le t-shirt ample que je porte glisse sur mon épaule, et une vague de soulagement me traverse : au moins, je ne suis pas restée dans ma robe de soirée. Cette fichue robe aurait pu m'achever.

Un flash me revient. Matheo. Sa voix. Ses bras autour de moi quand je titubais. Je balaye la pièce du regard et réalise que je suis dans sa chambre. Putain, Lestrange. Bravo. Encore une soirée où tu brilles par ton élégance.

En me levant, mes jambes vacillent légèrement, et je me dirige vers un miroir de l'autre côté de la pièce. Mon reflet est un désastre : des mèches de cheveux s'échappent dans tous les sens, mon maquillage a coulé, et mes yeux fatigués hurlent "gueule de bois". Avec un soupir, je frotte mes joues, espérant effacer au moins un peu les traces de la soirée.

Draco marmonne quelque chose d'incompréhensible dans son sommeil. Je souris malgré moi. Il a l'air presque paisible, ce qui est rare. On a dû vraiment bien profiter pour qu'il soit dans cet état.

Je repère une bouteille d'eau posée sur une table et bois quelques gorgées, le liquide apaisant ma gorge sèche. Les souvenirs de la veille commencent à revenir par bribes. Le lac. Les rires. Matheo, qui nous traînait ici. Et puis... ce moment. Ce baiser. Mes joues s'enflamment rien qu'en y repensant. Qu'est-ce qui m'a pris ?

Un bruit derrière moi me fait sursauter. Draco se redresse à moitié, ses cheveux blonds en bataille. Ses yeux encore ensommeillés se posent sur moi.

— T'es déjà debout ? grogne-t-il.

— Oui, contrairement à toi, je sais me lever.

Il grogne en réponse et se laisse retomber sur le lit, tirant une couverture sur lui. Je roule des yeux, amusée malgré moi, avant qu'un coup discret à la porte ne détourne mon attention.

Matheo entre, un sourire supérieur collé sur son visage, une tasse de café dans chaque main.

— Bonjour, la belle au bois dormant, dit-il en me tendant une tasse, son regard pétillant de malice.

Je lève les yeux au ciel mais attrape la tasse, sentant malgré moi mon cœur accélérer.

— Merci, oh grand sauveur, répliqué-je avec un soupir théâtral.

Il tend l'autre tasse à Draco, qui grogne un remerciement en la prenant. Je prends une gorgée de café, le goût amer et chaud apaisant mes sens fatigués. Mais Matheo, bien sûr, ne peut pas s'arrêter là.

— Vous vous souvenez de votre performance de ce matin ? demande-t-il, son sourire s'agrandissant.

Je fronce les sourcils.

— Quelle performance ?

— Rogue. Dans la grande salle. Vos petites discussions bourrées.

Le sang quitte mon visage.

— Oh non... pas Rogue.

Avec lui et sa double vie, on peut se faire engueuler deux fois plus fort.

Matheo rit doucement, et je m'effondre sur le lit à côté de Draco, qui semble aussi mortifié que moi.

— On est foutus, murmure Draco.

— Non, vous êtes juste chanceux d'avoir un ange gardien comme moi, rétorque Matheo, son sourire moqueur illuminant son visage.

Je lui lance un coussin, mais il l'attrape sans effort, toujours avec cette foutue arrogance.

— T'es insupportable, grogné-je.

— Mais tu m'adores, princesse.

Je détourne le regard, sentant une rougeur monter à mes joues. Je le déteste. Enfin... peut-être pas autant que je le devrais.

Draco se lève avec un soupir dramatique.

— Bon, je vais finir ma nuit dans ma chambre. Bye.

Il sort en traînant les pieds, mais je vois son sourire en coin. Le traître. Il me laisse seule avec Matheo, et je sais qu'il l'a fait exprès.

Matheo s'approche, tenant quelque chose dans sa main.

— Tiens.

C'est mon bracelet argenté.

— Il a bien marché, mais il doit revenir à sa propriétaire. Merci, d'ailleurs.

Je hoche la tête en silence. Où est passée ma répartie légendaire ?

— Ness... princesse... si on pouvait éviter le malaise qui se passe uniquement dans ta charmante tête et parler comme des adultes ?

Fais chier. Pourquoi est-il si sûr de lui alors que je suis complètement perdue ?

— Tu veux parler de quoi, Jedusor ?

— Évitons de prétendre que rien ne s'est passé. Je parle de toi et moi, dans ce couloir. De notre merveilleux baiser.

Mon cœur s'emballe. Il est clairement bien plus à l'aise que moi.

— Que veux-tu dire ?

— T'es pas possible. Écoute, je vais être direct. Tu as dit que tu ne voulais pas vivre sans moi. Je t'ai dit plus ou moins la même chose. Même mon putain de père veut qu'on finisse ensemble. Alors ma question, Ness, c'est : tu m'as embrassé pour la cause ? Pour nos parents ? Ou pour nous ?

Je le regarde, horrifiée. C'est ce qu'il pense ? Que je fais tout ça par obligation ?

— On ne m'a jamais demandé de te sauter dessus dans un couloir, Jedusor. On m'a dit qu'on serait fiancés et qu'on devait se montrer comme un couple. Mais ce baiser, je te l'ai rendu parce que je le voulais. Et aussi l'alcool ma donner du courage.

Il me sourit, un sourire à faire exploser une horloge.

— Quoi encore ? grogné-je.

— En réalité, je le savais, princesse. Mais ça a marché : tu en as parlé.

L'enfoiré. Il a joué avec moi. Je sens la colère monter, et je me lève, prête à quitter la pièce. Mais il m'intercepte et m'enlace par derrière.

— Mon cœur, ne me fuis pas. Sois en colère, crie ou ensorcelle-moi, mais ne m'abandonne pas.

— Si je fais ça, un jour ce sera toi qui m'abandonneras.

— Regarde-nous, Ness. On n'est pas très doués pour ça, mais je te promets : je ne t'abandonnerai jamais.

Je hoche la tête, incapable de trouver les mots. Mon esprit tourbillonne. Puis une idée me traverse.

Je me détache doucement de ses bras et attrape sa main.

— Suis-moi.