One

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- Attention, mettez-vous en place. On va bientôt commencer. Acte trois scène quatre. Rebecca, c'est à toi. Un, deux, trois... Action ! Lança le clapman.

- "Joris. Jamais je n'aurai cru que tu serai allé jusque pour me trahir. Que tu aies pu me faire une chose pareille... Trois jours avant notre mariage, mais comment as-tu pu ?"

- "Tarrah, je t'en supplie. Écoute-moi. Je n'ai pas voulu te faire du mal."

- "C'est pourtant ce que tu viens de faire." Répliqua-t-elle en se retournant vers la coiffeuse.

"Je suis Rebecca Eldman, une jeune actrice prodigue. Celle que l'on vénérant tant dans les jours infinis. Celle à qui toutes les jeunes filles de ma génération désiraient ressembler. Et pourtant, aujourd'hui, je me retrouve presque sans rien. Mon impresario peine à me trouver des rôles à ma convenance. Elle peine à me trouver des rôles tout court.
Je ne suis plus rien dans ce cinéma qui m'a ouvert les bras. Je ne suis plus rien à Hollywood. Je ne suis plus rien tout court."

Si les mots pouvaient traverser sa pensée en venant s'inscrire par eux-mêmes sur le bout de papier déchiré de son journal intime qu'elle tenait pendant le tournage de son célèbre feuilleton, Rebecca aurait déjà terminé sa lettre en l'espace de quelques instants. Pourtant, se dit elle-même, qu'elle aurait pu laisser une petite joie s'émerveiller dès lors que Josh Wilde, son agent de cette période eut trouvé un petit contrat dans une mini-série télévisée. Mais c'était ce qui la dérangeait le plus, mini-série.

- Allô, Rebecca ? C'est moi. Tu n'en reviendras pas !

- Vas-y, fais-moi espérer encore. Comme si ça ne me suffisait pas.

- Tu te souviens de la série Ashes and Carlton ?

- "Mini-série", tu veux dire.

- Oui, si tu veux. Et bien j'ai réussi à te décrocher le petit rôle d'Anna. La sœur ...

- De Daryl. Le coupa-t-elle aussitôt.

- Oui. C'est cela. Mais comment le sais-tu ? La voix étonnée derrière le combiné.

- J'ai déjà entendu parler du script avant même qu'ils aient réussi à dégoter cette pimbêche pour le rôle de Carlton.

- Je sais, tu aurai voulu avoir celui de... Devança-t-il, la voix radoucie et désolante.

- Peu importe. C'est déjà fait. Répondit la jeune femme, à demi emparée par le désespoir.

- Très bien. Que vas-tu manger ce soir ?

- Je sais pas. J'ai pas trop faim.

- Mange un peu, tu es toute molle...

- Je mangerai que si j'ai faim. D'accord ? S'exaspéra-t-elle.

- OK. Très bien ma petite.

Ma petite, surnom qu'il lui offrit depuis le premier jour de sa venue dans le monde du spectacle, de la scène, de Hollywood. Elle n'avait que quatre ans lorsqu'il la propulsa aux yeux du monde.
Elle se remémora encore la fois où elle arriva avec Criston, son ourson en peluche beige dont le bras avait été arraché par Hector, le chien de tati Helen. Toute menue, le sourire légèrement de coin comme si elle arrivait devant bugs bunny qui l'accueillait à bras ouvert à l'entrée d'un parc. Ses petites boucles flottaient encore par-dessus ses épaules, avec une barrette ornée d'un nœud bleu préserva sa mèche sur le côté. Dans une robe toute sage et simple à la nuance d'un ciel merveilleux. Mon Dieu qu'elle était magnifique lui disait encore sa mère le matin-même avant d'embarquer dans le premier bus pour Los Angeles.

Rebecca et sa mère Pattie Barstley vivaient dans une toute petite ville en reclus. Située à une trentaine de kilomètres de la ville des Anges. Applestings. Là où tous les villageois commencèrent à la voir comme une belle enfant prodige. La petite star d'Applestings.
Son père Morty s'en alla lorsqu'elle n'avait que dix-huit mois. La seule chose qu'elle connut de lui était son nom et son appartenance sociale. Il était le fils d'un ambassadeur, lui répétait Pattie. Avant de savoir qu'il était juste un employé du garage que son père légua auprès de son frère.
Partie avec une autre, certainement. Comme sa prétendue mère la surnommait. L'autre. Au bout du fil, durant ses interminables états de crise.

La petite prodige l'appelait-on. Un surnom qui lui manqua encore, et qui lui colla à la peau pendant les années soixante-dix. Aujourd'hui, à seulement trente-quatre ans, il était temps qu'elle retrouve un rôle où la gloire l'attendait. Comme celui de Tarrah Laynor. Son bébé qu'elle fit naitre pendant dix ans. Une partie de sa vie s'en était envolée quand elle quitta son personnage. Une partie d'elle l'avait tout bonnement délaissée, alors qu'elle commençait tout juste à l'apprécier.
Ce fut sur un mariage qu'elle quitta ce feuilleton à succès. Celui de Tarrah Laynor et Joris Wade, celui de Rebecca Eldman et de David Ramsey.

Malgré cet interminable souvenir, qui ne faisait que repasser en boucle comme une cassette vidéo, la belle Rebecca s'asseya. Face à son miroir parsemé de fleurs en bronze. La lumière tamisée de sa lampe de chevet, éclairant la petite brindille d'espoir qui traversa son regard. Elle la voyait. Cette étincelle, elle l'avait déjà eu. Surtout quand on lui annonça qu'elle tiendrait le rôle d'Amelia Sanders. Dans le film de Robert KentLurck.

Un rôle qui aurait pu égayer sa flamme, si elle ne l'avait pas manqué. Il aurait pu la faire remonter en haut de toutes les affiches sur le Hollywood boulevard, du monde entier même. Mais il n'en était point.

D'une main fébrile, telle une mourante, Rebecca saississa la brosse au dossier orné de pétales d'orchidée mauves puis caressa sa mèche ondulée. Effleurant au passage son épaule.

Une larme s'apprêta à couler quand soudainement, la sonnette se mit à retentir. "Peut-être est-ce lui, Joris" se dit-elle. Dévalant les grandes marches marbrées, sous l'évasement de sa chemise de nuit en soie rose qui flottait. Elle se hâta devant sa grande porte parée de lianes en acier.

Une sirène retentissante comme il en éveille beaucoup à Los Angeles, près des collines d'Hollywood. Une limousine traversant la longue avenue, juste sous son nez. "Joris ? Joris c'est toi ?"
Lorsqu'elle baissa le regard vers une rose enluminée, ceinte d'un ruban mauve, aux pétales légèrement charnues et parme reposant sur le sol de sa première marche.

"Joris...tu es revenu pour moi. Et seulement moi..."

Hollywood SuicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant