fifty-four

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-"Que faisait votre femme ce soir-là ?" demanda l'inspecteur.

-"Je... Je crois que... " bégaya-t-il.

-"Savez-vous l'heure à laquelle elle est rentrée ?"

Tout à coup, Tom se mit à revoir la scène comme si elle se déroulait à nouveau sous ses yeux.
Marie-Faith venait tout juste de rentrer avec un sac de course d'où un bout de manche entaché se mettait à dépasser. "- Dit donc, les laveries dans le coin ne sont vraiment pas pour rien. Deux bassines pour soixante-huit dollars."

Elle avait une expression qui feignait la surprise ce soir-là. Elle ne s'attendait guère à tomber sur lui de si tôt.
En effet, Tom ne se décourageait jamais de poursuivre les tables de comptabilités jusqu'à ce que sommeil s'ensuive. Il arrivait même qu'un petit somme le guette à chaque clignement d'œil sur la route. Les lignées blanches aussi furtives que des étoiles filantes craignaient même de l'assoupir, le front à la limite de s'abrutir sur le volant.

Mais ce soir-là, Tom avait décidé d'alléger sa fin de journée en rentrant un peu plus tôt et de repousser au lendemain une petite heure afin de clarifier les commandes de fournisseurs et d'aménager les emplois du temps de l'équipe pour se rendre chez les nouveaux clients.
Il se souvint que Marie-Faith avait une drôle d'allure sous son impair rose, trempé. Les cheveux quasiment rabattus sur le visage prêtaient même l'impression qu'elle avait parcouru une longue marche bafouée par les ravages d'un cyclone.
"Marie-Faith, que faisais-tu ce jour-là ?"

L'épouse modèle était restée muette sur le sujet et Tom n'avait pas la moindre idée que ce détail allait semer le doute à jamais dans son esprit.
C'était pourtant une petite soirée parmi tant d'autre, il n'avait rien remarqué de particulier hormis ce sac et cette allure de crevette congestionnée.

Ce retranchement le plongea aussitôt à repérer de nouveau ces infimes détails qui n'avaient aucunement bloqué son attention jusque-là.
Comment quelqu'un d'aussi adroit et méticuleux que lui était soudainement passé à côté d'un fait aussi troublant ?
Lui qui ne laissait jamais un fil se découdre d'un autre, il s'étonna lui-même de ne pas y avoir prêté plus de cernement.

De plus, il y avait encore cette Gina. Personne n'en reparla après son départ.
C'était comme si elle avait fait une brève apparition insuffisamment remarquée pour qu'on se souvienne d'elle.
Même auprès de Marie-Faith il se retenait d'évoquer son nom.
Or, que redoutait-il tant ?

Cette image en projection de flash lui apparut au beau milieu de l'interrogatoire qui n'en finissait plus. Pendant près de deux heures, les inspecteurs ruaient l'homme de questions rhétoriques, rapportées à chaque reprise de manière aussi subtiles que différées. Quitte à l'achever davantage au moment où l'épuisement en devenait mortellement un supplice.

Toutefois, Tom s'accorda le bénéfice d'espérer que la jeune femme ne réapparaisse pas de si tôt. Il y avait sans doute un miracle que rien de son aventure n'en parvienne aux oreilles de sa femme, qui secrètement se sentait suffisamment humiliée par sa première infidélité.

Malgré ces instants en sa compagnie, le bon mari se garda d'accorder une once de plus au plaisir de cette dernière entrevue. Rien que pour en évincer le son de cloche de la tromperie résonner dans sa tête. Or, il y avait tout de même quelque chose d'étrange qui le titillait scrupuleusement : la réaction interne de sa femme, il se l'imagina tant qu'il en angoissait terriblement. "-Tom, le plus beau chez toi, c'est le regard que tu porte sur les femmes."

C'était ce que l'on pensait de Chace, son fils aîné. Combien de fois Gina lui révélait qu'il serait aussi chanceux que lui en matière de conquêtes. Bien que le jeune homme avait une allure plus sportive et des traits plus fins, Tom resta intimement convaincu que son fils était plus attrayant que lui. Il le décelait partout où il l'emmenait, les têtes se tournaient en sa faveur. Même étant très jeune.
"Il aura tant de succès plus tard, il a déjà ce regard très intense qui nous dit tant de choses sans les révéler."

Chace avait le regard aussi expressif que celui de son père, un portrait qu'on aurait moins misé sur la même graine. Les yeux verts dégageaient une intensité à la fois douce et sauvage, reflétant ainsi une âme dépourvue de jugement.
Quelque chose s'illuminait grandement dans la lueur de son regard. Plus cette carrure imposante et ce style sportwear, Chace intriguait nettement plus que son père, sans même s'en rendre compte.

- Papa ? Je peux te parler une minute ?

Quelque chose dans son attitude prédisait un état d'esprit octroyé. Chace avait encore cette attitude auprès de son père, comme s'il s'abstenait de révéler une bêtise.

- Qu'est-ce qu'il y a fils ? Demanda Tom en replaçant les tournevis dans sa mallette.

- Je sais pas... J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de bizarre...

- Comment ça ? Avec la disparition de Lydia ?

- Pas que ça. Mais habituellement Joyce a des nouvelles de sa mère le samedi matin. Et là depuis près de trois semaines plus rien... Et quand elle l'appelle ça tombe directement sur la messagerie vocale.

Tom baissa le regard, il ne savait quoi répondre à cette interrogation qui l'affectait bourriquement de l'intérieur. C'est d'ailleurs ce point qui le raccorda une fois de plus dans l'idée que son fils avait le même instinct. Tous deux ressentaient le même pressentiment. Il était arrivé quelque chose à l'ancienne voisine, ils en étaient maintenant sûrs.

- Chace, mon grand. Je dois partir. On en reparle plus tard ?

- Attend. C'est pas tout.

- Quoi ?

- On raconte dans le voisinage que Lindsay, la fille aînée de Lydia a disparu aussi.

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