twenty-four

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Cernée par le coiffeur qui ne pipa mot pendant qu'il enroulait une mèche autour du cylindre de fer à friser, Rebecca se remémora les deux dernières phrases de son script. Étant les plus intenses et répondant le plus au suspense de l'épisode précédent, il arrivait de temps à autre que Rebecca ne parvienne guère à retenir un fichu mot tourné maladroitement dans une phrase qu'elle estimait ne pas avoir de place au cœur de son interprétation. Ce fût cette lourde tâche qui envenimait parfois les rapports avec le metteur en scène des Jours infinis.
Certains pensent qu'être actrice et vouloir modifier certains passages relate clairement d'un caprice de diva alors que pour elle, il s'agissait juste d'une tournure qui allait à l'encontre de son personnage. Tantôt elle aimait Joris mais ne sachait guère s'il était utile de lui révéler son aventure avec le meilleur ami, tantôt elle réfute sa parole en offrant un baiser à Tristan.

Rebecca rencontrait même beaucoup de complications lors des répétitions avec l'actrice qui jouait sa "mère de cœur".
Des éclats de voix aux larmes avaient fusionné sur le plateau pendant des années. Que Gillian Mohara la pardonne.

Tout ce que Rebecca espérait c'était de renouer avec le succès d'antan. Pour cela, il valait mieux la mettre en veilleuse au cas où elle en viendrait à un renvoi primitif.
Ce serait d'une mauvaise publicité pour sa carrière dont elle se passerait bien.

- Rebecca, en piste ! Interpella le standardiste en ouvrant comme une brèche la porte de sa loge.

Elle y était. Rebecca redevenait Anna.

En place sur le tiret jaune tracé sur le parquet résonnant, Rebecca rabattit sa mèche vers ses épaules pour laisser envisager un meilleur cadrage de sa silhouette. Le pins en forme de lys avait lieu d'être remarqué selon elle.

- Attention, tout le monde en place ? Un, deux, trois !

Le clapet lui relança aussitôt une légère migraine, celle qui réapparût d'innombrables fois avant la prise. Cette note sèche qui la ressaisissait aussitôt dans son personnage. Comme une interférence entre la Rebecca Eldman, l'actrice et Anna Momsen, la sœur peste et tortueuse.

"- Vous pensez que vous pouvez nuire la relation entre votre frère et moi ? Lâcha Mona de manière agressive.
Vous êtes une mégère jalouse et envieuse. Il est vrai que tout lui a réussi à votre frère, y comprit celui de m'avoir conquise. Et vous ? N'est-ce pas trop rageant de n'être que l'ombre de tout ceci ?"

"- Je ne vous autorise pas à me parler de la sorte. Vous n'êtes qu'une petite incapable qui en a qu'après la célébrité de mon frère. Je ne vous aime pas Mona." Répliqua Anna sur un ton aussi sage que serein.

D'un coup d'un sol, elle se mit à avancer vers elle. Se maintenant à la distance prévue quelques minutes plus tôt afin d'être dans le bon angle.

"- Moi non plus, je ne vous aime pas. Mais pour votre frère je suis capable de tolérer votre présence."

Ce regard avisé, celui qui définissait nettement une férocité hargneuse : la détermination. Rebecca la décelait sans mal à travers le reflet céruléen de Arlette Briny, alias Mona. Et c'est ce qui la troublait vaillamment.
Elle ressassa soudainement tout ce qu'elle était jusqu'à présent, l'essence de sa persévérance, cette même détermination.

Les mots la manquaient, à peine venait-elle de s'accrocher à cette réplique sévèrement ajoutée en mémoire que les mots s'effacèrent aussitôt de sa pensée. Elle était à présent prise à ce piège qu'elle souhaitait éviter.
Tous les regards lui rappelèrent l'idée qui noircissait ses espoirs, celui d'une mauvaise actrice. Plus elle tentait de prononcer un mot en le mariant à une réplique qu'elle pensait détenir, moins elle parvenait à émaner quelque chose de cohérent.
Elle se sentait horriblement honteuse. Sa descente la guettait.

"- Rebecca ?"

Tout paraissait soudainement flou autour d'elle. Son personnage la quittait promptement, comme un dédoublement de personnalité. Sa réplique, elle ne l'aimait pas. Il fallait la changer pour rendre son personnage plus affirmé.

"- Je suis sa sœur, celle qui retrace pas à pas ce qu'il est. Et vous, vous n'êtes rien."

"- Rebecca, qu'est-ce que tu fais ? C'est pas dans le script !

À peine venait-elle de se décupler de la croix jaune que Rick, le metteur en scène se leva et vint l'empoigner par le bras. Les lunettes dressées sur la tête.

- Qu'est-ce que tu me fais ? T'as un problème ?

- Laisse-moi Rick. J'y arrive pas avec cette scène.

- T'es professionnelle ou tu ne l'es pas ?

- Tu as l'air d'oublier qui je suis on dirait. Répliqua sèchement la jeune femme.

- Attend, tu joues à quoi au juste ? Tu veux me la faire diva ? C'est ça ? (L'air presque moqueur.)

- Je ne suis pas une diva. Je suis professionnelle OK ? Seulement j'aime pas la dernière réplique. Ça colle pas avec Anna.

- Pour qui te prends-tu à oser me dire qu'il faut revoir le scénario ?
Fit-il les sourcils froncés.

- Je me prend pour Rebecca Eldman, actrice qui pensait qu'on comprendrait un minimum la sœur de Daryl.

Dans sa loge, aux murs beiges et à l'espace infiniment réduit, Rebecca s'y sentait toujours autant opprimée à en avoir les poumons compressés. La vue sur Los Angeles lui manquait terriblement depuis l'arrêt de les jours infinis. Son ancienne loge pouvait longer jusqu'à une centaine de mètres carrés sans compter le dressing digne de celui d'une Rita Henworth en spectacle.
Mais Rebecca n'était plus cette femme adulée par tant de monde, y compris par les costumières. Désormais, tout le monde n'avait d'yeux que pour Arlette Briny, sa collègue.
Elle démarrait une belle existence dans le milieu, à en faire pâlir de jalousie les minettes de vingt ans qui se rêvaient d'être actrice à son âge lorsqu'elles voyaient Tarrah Laynor à la télévision.
Ce mythe, un fantasme.

Rebecca jetait de brefs coups d'œil envers la petite horloge qui figurait au-dessus de son miroir triple faces. S'il y avait une chose à laquelle la jeune femme resta fermement impartiale était dans la ponctualité. Melinda ne la décevit jamais de ce côté-là, bien qu'il arrivait toutefois à Rebecca de s'en prendre à elle de manière odieuse et désinvolte sans grande raison apparente.

Son personnage, allait-elle le revoir un jour ? Elle n'en savait rien. Tout ce dont elle était sûre c'était que cette dernière réplique ne devait exister. Anna ne pouvait pas aller à contresens de la protection qu'elle avait envers son frère. Elle l'aimait terriblement et ne voulait guère qu'il s'attache à une fille capable de lui infliger une souffrance aussi maquillée que son rouge à lèvres derrière des espoirs mensongers. Daryl était bien trop naïf au sujet des femmes. Ces fichues croqueuses de diamants ne perdaient rien pour attendre, mais Rebecca savait illicitement que Mona finirait par lui tomber un jour dans les bras.
Elle le sentait venir dans les prochains scripts, même si chaque nouvel épisode était réhabilité comme un effet de surprise, toujours plus saisissant que le précédent, au même rythme que les téléspectateurs.

Rebecca y voyait tout à coup le même rapprochement qu'entre Tarrah et Joris. Leur fin était d'une telle évidence qu'elle se souvint que les fans, les employés et même les autres personnages en devenaient las par tant d'attente.

On toqua à la porte. C'était elle, Melinda. Elle la réconforterait dans l'idée que c'était une brillante actrice et qu'elle avait tout pour elle, c'était ce qu'elle attendait.

- Bonjour Rebecca. C'est moi. Comment te sens-tu ? (La voix aussi fluette que celle d'une fillette.)

- Anna n'existera plus.

- Pourquoi cela ?

- Je le sais c'est tout.

Hollywood SuicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant