- Cory ? Tu veux venir avec nous ? Interpella son père en bas des escaliers.
- Non merci. Ça ira.
- Très bien. À plus tard alors.
Le bruit lourd de la porte replongea le jeune garçon dans une immense instance de solitude à laquelle il s'y était déjà abonné. Feuilletant les pages d'un magazine sur la technique de dessin mangas, Cory se remémora les mouvements qu'il avait réussi à s'imprégner sur les contours des yeux, et des élans de vitesse lors des deux numéros précédents.
Son rêve depuis très jeune, eût été de devenir dessinateur de manga. Or, Andy Shelton, son père lui répéta sans effort qu'il n'y avait aucun avenir signifiant dans ce domaine. Mis à part la possibilité de s'exiler au Japon et d'y hiberner le restant de ses jours, c'est tout ce qu'il y avait d'envisageable. En y repensant, son père ne devina jamais avec exactitude la profession qui le relatait vraiment.
Il aurait tant aimé un fils banquier, or Cory voua une admiration grandiose pour le dessin; chef d'entreprise mais le jeune prodige était plutôt du genre réservé et timide; architecte bien que l'idée eût été soufflée par une certaine Tarrah Shelton : sa belle-mère.
Les rares fois où ils discutèrent de son avenir entre père et fils, les échanges ne dépassaient guère la limite de trois paroles.Son temps, le plus oisif qui soit servait à plonger son imagination au cœur de ses élans de dessinateur, extraire de ses mains le reflet imprégné qui ne le quittait plus de l'esprit. Sans perdre toutefois une minute les épisodes de Death Note ou de One piece qui diffusaient à télévision. Hormis cette passion dévorante pour les BD japonaises, il n'y avait rien d'autre. Les amis ne se comptaient pas, les sorties demeurèrent le plus rare possible. Quant aux têtes-à-têtes avec son père, il en restait le plus éloigné possible. Il ressentait même de désagréables hauts-le-cœur lorsqu'ils devaient ne serait-ce qu'évoquer le sujet de la journée, comme si quelque chose d'extraordinaire s'était produit à chaque mise : "qu'as-tu fais de spécial aujourd'hui ?" ou encore "as-tu visité cette galerie d'art avec un ami ?"
-" Pa', je n'ai pas d'ami."
-"Bah et le jeune Tomas ?"
-"Cela fait deux ans qu'il est parti pour Vancouver y faire ses études dans l'audiovisuel."
Quant aux relations avec Tarrah, la belle-mère, les dialogues restèrent pour le moins limités. C'était tout juste si elle ne se forçait pas à lui répéter sans cesse s'il était allergique aux endives ou aux choux de Bruxelles. Quant à la petite Megan, du haut de ses sept ans. La fille qu'elle eut avec son père, ce n'était que chamailleries et caprices d'enfant gâtée qui rimaient.
Autant dire que les repas de famille se déroulaient dans des instants relativement satiriques qu'il s'efforçait à tout prix d'éviter.Cory était et restera le jeune solitaire de la famille. Au grand dam de son père qui le poussa sans relâche vers d'autres horizons où des relations auraient pu le mener très loin. Cependant, ce n'était guère la principale de ses préoccupations.
"Bon. Je vais aller faire un petit tour. Voir s'ils ont enfin le dernier numéro d'Askins Fawkes et sans doute aller boire un café." se dit-il en soupirant.
Les mèches tournoyant frénétiquement entre ses doigts, un réflexe qui ne le quittait jamais lorsque l'exaltation le gagnait dans la lecture de ses revues, Cory fut submergé par les commentaires d'un des réalisateurs du film Brunway sur la réalisation du projet qui leur valut pas moins de cinq ans. Quand tout à coup, il se sentit observé.
À quelques pas de sa table, une jeune fille aux longs cheveux bruns avec une frange le regardait. Un léger sourire dessiné au coin des lèvres. Elle représentait sans doute la sympathie incarnée ou encore une de ces filles qui posait pour un dentifrice Airwhite.
Elle portait un duffle-coat rose, un pantalon sombre et des bottines mauves dont les lacets ornaient le tour.
Elle se tenait là, assise, entrain de bouquiner une revue.
Dans son regard, il pressentait une envie de s'inviter à sa table. Mais Cory se résilia toujours à rester dans l'ombre plutôt que d'aborder une charmante demoiselle. Quelle qu'elle soit, il ne s'y ferait jamais. D'ailleurs, il ne saurait comment entamer une conversation normale."Pourquoi est-ce qu'elle me dévisage ?"
Son sourire enjoué le frappa. Pour la première fois, il se sentait ouvertement séduit. Cette fille n'attendait qu'une chose, c'était qu'il vienne à sa rencontre. Mais intérieurement, il s'en rendait déjà malade. Se voir enfoui au fond d'un terrier pour ne plus en décoller le réconfortait dans l'idée qu'il n'arriverait jamais à l'aborder.
Puis il se décida enfin. Quitte à se prendre un mur, autant le savoir une bonne fois pour toute, même si cela lui gâcherait un moment sans doute plaisant.
D'un pas hésitant, il se leva de sa chaise, espérant que personne ne le guette du coin de l'œil en ricanant.Plus il s'avançait, plus son sourire resta aussi inchangé que celui de Mona Lisa.
Enfin arrivé devant sa table, où il en effleura le rebord glacé, Cory avait la soudaine sensation d'avoir parcouru un chemin à pas de tortue.
- Excuse-moi, mais on se connaît ?
- Ça se pourrait bien.- Pardon ?
- Je m'appelle Cheryl. Tendit-elle d'une main bienveillante.
- Cory. La saississa-t-il timidement.
- Tu lis Askins Fawls ? Dit-elle en jetant un œil furtif.
T'as vu, sa fille veut reprendre la maison d'édition et donner un second souffle à la série Bringer*?- J'ai lu ça oui.
- Ce serait une occasion pour la belle Nyoko de ressusciter des morts et probablement de se venger de son assassin. Déclara la jeune fille, les yeux remplies d'enthousiasme comme si elle dégustait une saveur sucrée.
Assieds-toi. Nous allons parler un peu.* Bringer : manga japonais.
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Hollywood Suicide
Mystery / ThrillerUne actrice connue pour avoir joué Tarrah Laynor dans un feuilleton à succès se retrouve malgré elle tourmentée par des contrats qui s'éteignent... Un père de famille persécuté par une ancienne maîtresse dans sa nouvelle maison... Une femme, envieus...