Hollywood Suicide

Six

Même son miroir ne lui influa guère l'image qui la dominait auparavant. C'était tout ce qu'elle y voyait : une part d'ombre l'empaler dans un fond obscur où seul son nom de scène apparaissait.

Rebecca Eldman n'a pas toujours été Rebecca Eldman. Celle que tout-le-monde- connaissait. Elle était juste Rebecca Barstley, une fille d'une petite bourgade de l'ouest. Une idée qui s'insurgeait vaillamment en elle.
Pourtant, Pattie la poussait à croire qu'elle était autre chose que la petite fille d'Applestings. Il fallait qu'elle soit exceptionnelle. Et, c'est ce qu'elle se mettait à croire.

Mon Dieu que cette vie lui manquait. Celle où aucun effort ne représentait de supplice. On la laissait tout faire. On faisait tout pour elle. Quelle prestige.
Un rêve que beaucoup de gamines à travers le monde enviaient follement. Or, ce n'était pas le sien. Elle s'était seulement apprise à aimer ce rêve.
Son seul but dans la vie eut été d'être une de ces nanas qui s'occupe du bien-être des animaux que beaucoup d'hommes n'eût jamais réussi à faire pour elle. Ce fut là, le pire moment qu'elle regretta le plus dans cette existence bondée de strass : son mariage.

Ce David qu'elle chérissait tant, et qui finalement, ne trouva chaussure à son pied qu'en léchant les petites culottes de cette Fendi Hopes. L'actrice d'une série télévisée reconnue.
Peut-être était-ce son fantasme. Une fille qui reste sous les projecteurs, qui continue de persévérer en braquant systématiquement l'attention sur elle. Partout où elle s'affichait. Une photo pour la petite Kuddy. Une autre pour l'annonce officielle de notre future mariage. Oh encore une autre pour bien montrer mon bonheur à cette Rebecca. Lui montrer un peu ce qu'elle a raté.

C'en était que des exemples parmi les innombrables ragots qui se lisaient dans les potins de la ville. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle n'en prit plus un seul. Trop insoutenable de voir le sourire en grande couverture de la belle brune, arborant fièrement la bague de fiançailles si éclatante qu'elle en perçait presque l'objectif. Tant elle brillait. Un diamant à la taille de la magnifique personne qu'est Fendi lut-elle. Signé David Ramsey.

Une page où Rebecca s'y serait vue avec fierté. Mais, la chance ne l'avait guère souris cette fois-là. Qu'il est difficile d'être une grande star comme toi ! Lui répétait sans cesse sa loyale cousine. Celena.
Sans elle, sans la chaleur réconfortante ni les mots rassurants qu'elle lui soufflait toujours ne l'auraient aidé à continuer d'avancer jusque-là.

Son miroir ne lui mentait jamais. Qu'il en fut ainsi il y a une dizaine d'années au moment de son succès jusqu'à présent, il lui reflétait toujours ce qui lui valait. Qu'un mal s'y serait pointé ou pas, il en était ainsi et c'est ce qu'elle préférait. On aurait dit une jeune adolescente qui tentait de se convaincre auprès de son miroir illuminé qu'elle était aussi jolie que Rebecca Eldman. Même ce son de cloche ne résonna pas suffisamment dans son alter-ego.
Peut-être avait-elle mûri, ou alors se rendait-elle simplement compte que son avenir ne se jouait plus sur la même note. Enfin, il en fut ainsi.

"Qu'aurait dit maman dans ces moments-là ?"

-"Oh ma chérie. Tu es merveilleuse comme toujours..." le regard doré de lumière, telle que même une horde de paillettes n'aurait guère égalé cet instant magique. Celui qui l'illuminait tant. Maman.

Durant ces insoutenables périodes, Rebecca avait l'impression de n'être que plus enfoncée dans sa solitude. Les épaules nues de compassion. Comme si personne à part elle, Pattie ne savait la comprendre. Même David n'y parvenait pas totalement. La seule chose qui aurait pu lui permettre d'avancer en toute sérénité, Rebecca le savait indéniablement depuis qu'elle était orpheline : un enfant.

Toute sa vie, elle devait se résilier de ne jamais être cette mère comblée qui préparerait de délicieux cakes pour sa famille. Aux prunes, c'était ce qui fondait le mieux en bouche.
Il lui arrivait parfois d'imaginer ces instants où, près d'une longue table nappée blanche, elle se trouvait en compagnie d'un homme au regard bleu avec de jolis enfants en chemise claire avec un nœud. Dansant autour de la table en chantant les louanges du seigneur. Criant au monde entier le bonheur qui les envahissait. C'était ça la vie rêvée de Rebecca Eldman.

Le retour à la réalité lui créa constamment un inébranlable choc. Comme un électrode sauté en pleine évasion.
Ce faible lien qui la connectait encore avec la terre. Là où ses pieds encrés dans le sol lui rappelèrent à quel point il était toujours aussi navrant de devoir continuer de percer dans un monde miné de paillettes volantes. Un aspect qui prêtait délicieusement la sensation de posséder des ailes, et de survoler le grand Hollywood en s'étendant à croire que rien ne pouvait vous piquer du haut de cette falaise. Quel rêve.

Les trois coups tintés derrière la porte la réveillèrent à nouveau. Là encore, les images se mettaient à défiler telle une vidéo qui s'arrêtait sur ce même passage : désillusion. Ce mot la caractérisait tant qu'elle s'influait à penser qu'elle en était la déesse incarnée.

- Entrez. Annonça-t-elle aussi blasée qu'une princesse jamais ravie.

- Rebecca. Ma chérie.

Pendant un instant, la jeune femme crut entendre la voix rassurante de sa mère. Mais ce n'était que Celena. La cousine à la longue fourrure parsemée de plumes noires par un temps d'avril. Le diadème orné de diamants en pacotilles qu'elle ne sortait qu'en rares occasions. Une prestance digne d'une chanteuse de spectacle, telle qu'elle la connaissait.

- Je te remercie d'être là.

- Ne t'en fais pas. Tu es prête ? On peut y aller ? Demanda la femme, la main caressant son bras.

Un dernier regard envers ce miroir qui ne lui mentait jamais et elle se leva. Telle une reine, pas tout à fait prête à léguer sa souveraineté.

- On y va.