thirty-four

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Seule dans sa petite demeure, Jessica Harper se laissa enthousiasmée par un clip diffusé de Madonna au poste télévisé. Oh father, you never want to hurt me. You never want to hurt me... Why don't you go away ?

Qu'il était agréable de sentir la nostalgie vous replonger dans la peau d'une jeunette fraîche, débordant de vivacité. Un sentiment très noble de s'apprécier soi-même se répétait la femme. Surtout lorsque l'on admirait durant les années soixante-dix un personnage tant vénéré par la jeune fille qu'elle était : Madeline Cramer. La meilleure amie de Tarrah Laynor dans les jours infinis.

Sa prestance de fille mûre, d'une grâce beaucoup plus émancipée sans toutefois avoir été promue à l'équivalence de celle qu'elle considérait comme une pauvre fille naïve et ingénue.
Selon elle, c'est autour de Madeline que l'histoire devait se centrer. Elle avait de bien meilleures choses à émaner pourtant que les personnages eurent tous deux dix-neuf ans.

Elle ne pouvait garder cela en elle. Il fallait qu'elle le lui fasse savoir même si la visée en avait sans doute que faire. Les jours infinis était terminé depuis le milieu des années quatre-vingts. Quinze ans auront suffit au feuilleton pour agrémenter tant d'intrigues et surtout amener en amont le fanatisme frénétique des téléspectatrices d'année en année. Générations confondues, tout le monde semblait dévorer l'univers énigmatique des personnages auxquels chacun pouvait nettement s'identifier sans mal.
La copine Sarah interprétait la jeune bourgeoise farouche comme Amanda Letkins, Suzanne faisait la merveilleuse petite pleureuse qu'était Tarrah et Jessica jouait sans peine la très sympathique Madeline.
D'une chevelure esquisse et d'un blond vénitien jamais égalé. Elle se souvint des nombreuses fois où elle arpentait les salons de coiffure à la recherche de celui qui lui éblouirait cette couleur. Mais aucun n'y parvint.

Il arrivait de temps à autre qu'elle revisite certains passages enregistrés par papa lorsqu'elle était en cours pendant qu'ils diffusaient à la télévision. C'était un rendez-vous toujours aussi régalant et alléchant qui pouvait la maintenir en impatience pendant de longues heures jusqu'à ce que la suite lui vienne plus vite que le lendemain.

Madeline, elle aurait tant aimé lui ressembler. Ses pantalons en jean taille haute avec une série de boutons argentés sur le côté, une chemise en soie claire au grand col rabattu en pointes, laissant subtilement une petite poitrine en valeur.
Elle était sublime en la voyant grandir. De magnifiques yeux verts aux longs cils courbés jusqu'à l'angle oculaire. Toutes les adolescentes essayaient sans succès d'imiter sa manière de les discipliner.
C'était un geste assidûment appris à ses heures perdues. Un léger rehaussement qu'il faut subtilement zigzaguer vers la pointe de votre sourcil.
Une publicité de mascara dont la jeune actrice y démontra son talent tant réclamé par les internautes qui en harcelaient même les producteurs pour qu'elle le promulgue.

Une assiette de haricots verts suivie d'une tranche de poisson pannée lui suffirait amplement pour dîner. Lorsqu'en se dirigeant vers le gaz pour éteindre le feu d'où les légumes se mirent à glousser chaudement, une ombre passa devant sa fenêtre.
La fatigue, se dit la femme.

Une fois posée tranquillement devant son poste, le plateau sur les genoux, Jessica pianota la télécommande afin de passer en revu un film de Meg Ryan qu'une de ses anciennes collègues lui eût évoqué, ou pourquoi pas voguer sur une de ces émissions d'Oprah Winfrey qui accorderait une interview à Clive Owen. Quoiqu'il en soit, elle verrait en attendant les deux heures qui suivraient avant que la place soit enfin relayée à la série Ashes & Carlton.

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