thirty-nine

8 1 0
                                    


- Jeff Morrison à l'appareil, j'écoute ? Répondit une voix lasse, au beau milieu de la nuit.

- Jeff... ? Demanda la jeune femme, les larmes argumentées.

- Ma petite ? Que se passe-t-il ?

- J'en peux plus Jeff... J'en ai marre. Pleura Rebecca.

- Dis-moi ce qui ne va pas...

- Mais rien ne va. Rien. Je peux déjà faire mes adieux à ma carrière, ma demeure ne m'appartiendra plus d'ici quelques temps...

- Rebecca calme-toi. La production t'as versé les derniers cachets ?

- Oui, d'ailleurs je viens d'en évincer les trois quarts pour cette fichue maison... Mais je l'aime. Je ne me vois pas vivre ailleurs, tu comprends ? Je m'y sens chez moi, et elle est tout pour moi...

- Tu as encore eu des visites ?

- Oui, l'agence Apenn's Ford a encore envoyé des gens pour visiter. Ils me foutent la pression pour que je la mette en vente...

- Attaque-les au tribunal Rebecca ! Gronda-t-il.

- Je ne peux pas... Je dois préserver ce qu'il me reste, sinon je perds tout. Y compris la maison...
Je n'en peux plus Jeff. Je suis au bord du gouffre...

- Je peux te représenter si tu veux... Tu sais que je te demanderai pas un rond.

- Non Jeff... Je te remercie mais ça me gêne.

- Entre amis, il faut bien se serrer les coudes. N'est-ce pas ? Allez je passe demain. Repose-toi à présent.

Malgré un sentiment qui ne la rassurait guère chez lui, Rebecca approuva néanmoins son côté protecteur. Jeff Morrison était son avocat. Tout au moins, celui de sa mère en premier lieu, lorsque survint un tragique accident au sein de cette famille, c'est lui qui défendit la jeune fille lorsqu'elle eut atteint ses douze ans.
Il s'était épris d'affection pour elle, depuis sa plus tendre enfance. Elle se souvint même des nombreuses fois où ses caresses lui parurent étrangement insistantes lorsqu'il posa une main sur sa jambe quand elle s'asseyait sur ses genoux.

Plus les années passaient, moins il en changea l'attention à son égard. Morrison, tel qu'elle le nommait vulgairement en son fort intérieur, était marié à Yolanda Pierges et eut deux enfants : Orlane et Jim.
Malgré une femme sans trop de caractère et des enfants aussi sages que des images, Jeff ne semblait guère s'en suffir en dépit des apparences bourgeoises qui les déguisaient. Rebecca sentait chez cet homme proche de la soixantaine, encore un tantinet amouraché d'elle. Il y avait cette lueur qui scintillait en flamme dans le regard lorsqu'il le posa sur elle.

Il est vrai que c'était un homme bourré de charme. Aussi grand qu'un basketteur, et à la carrure imposante. Il arborait un genre très sobre mais guère dénué de prestance digne d'un homme puissant.
Le tout y siégeait. Cependant, Rebecca n'eut jamais l'idée de se voir ne serait-ce le temps d'une soirée en sa compagnie. Être sa maîtresse ne l'attirait point. Elle ne ressentait d'ailleurs aucune attirance pour lui, même après toutes ses années à en être assistée.

Par ailleurs, il possédait ce don de l'évider de ses maux, comme une entité d'air opprimé qui s'évacuait une fois arrivé sur place. C'était un seigneur digne de ce nom.
Il était capable de la mettre incroyablement en confiance à un point qu'elle n'eût guère  besoin de ses pilules consolatrices pendant des jours.

Rebecca le savait, Jeff était capable d'en venir à de pires extrêmes, simplement pour la protéger. Il y eut une fois où ce petit voleur de sacs au teint hâlé  apparût un jour où elle s'apprêtait à redorer sa garde-robe dans le célèbre centre commercial Beverly Center. Dès qu'il eût mit la main dessus, plus jamais elle n'en entendit parler. Un problème qui n'en sera plus un pour la société lui répétait-il avec humour.

Il sembla si jeune âge, qu'il devait à peine approcher les quinze ans. Il ne parlait un piètre mot de la langue du pays, mais il comprenait toutefois ce qu'on lui disait lorsque le policier l'avait interpelé en bas de la cour. Elle avait également développé ce léger fantasme qu'elle peinait à éteindre : celui de lui venir en aide.
S'occuper de ce sale môme et en faire quelqu'un de bien. Mais Jeff ne lui laissa guère le temps d'accomplir ce rêve.

Quant à cette agence qui envoyait secrètement de faux couples aux airs comiquement enjoués et dignes de comédiens de bas étage, Rebecca sentait qu'il n'en serait plus qu'une histoire ancienne d'ici le jour où Morrison s'en chargerait.
Elle pouvait à présent se reposer en toute tranquillité, du moins en partie. Car il existait encore une autre sentence à cette peine insurgée, plus élevée encore que cette fameuse découverte chez son impresario le soir-même : la demeure Harlington.

Hollywood SuicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant