Chapitre 34

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L'eau déborde du lavabo et dégouline sur mes poignets.
Ma vue est trouble ; je suis ailleurs.
Des paroles et des images qui ne cessent de me hanter défilent dans ma tête. Pour une fois, je ne cherche pas à les repousser ; je les laisse faire. Je les laisse me montrer ce qu'elles ont à me montrer. Je les laisse me faire ressentir ce qu'elles ont à me faire ressentir.
Je n'ai pas envie de me battre contre elles. Je suis triste et fatigué.
Et peut-être que si je me laisse aller elles me laisseront tranquille pendant un moment.

Elle me manque.
Je veux la voir et la toucher. Je veux sentir son odeur sur moi et dans les draps. Je veux entendre sa voix et garder le goût de ses lèvres sur les miennes. Douces, affolantes et délicieuses.
Ça fait six mois. Six énormes et longs mois qu'elle n'est plus là ; contre six ans de vie à ses côtés.
Elle me manque tellement. Et la culpabilité m'écrase de plus en plus. Le manque m'étouffe et me fait suffoquer. Et les regrets me font pleurer.

Pardon, mon amour. Je suis tellement désolé.
Pardonne-moi.

Serait-elle en colère contre moi, à l'heure d'aujourd'hui ?
Me haïrait-elle ?
“ Jusqu'à ce que la mort nous sépare ”
Moi je pensais que le moment venu, elle nous unirait plus qu'elle ne nous séparerait. Elle nous garderait ensemble pour l'éternité.
Mais j'ai eu tord.
Elle m'a glissé entre les doigts, comme du sable, grains après grains. Mais j'ai été trop aveugle pour m'en apercevoir.
Jamais je n'aurais pu penser que ce qui causerait un jour sa perte, notre perte, ce serait moi.
J'étais tellement convaincu de la garder en sécurité bien à mes côtés ; et tellement aveugle et incapable de me rendre compte que le vrai danger contre lequel j'aurais dû la protéger, c'était moi.
Je l'aime et je l'ai détruit.
Je l'aime et je me suis détruit.

Lassé du "ploc" continu de l'eau qui goutte, je referme le robinet. Je plonge mes mains en coupe dans le lavabo débordant d'eau et me rafraîchit le visage. Je reste un instant immobile au dessus de l'eau avant de réitérer l'opération. Puis encore.
Puis encore.
Mais Alli ne part pas. Ses souvenirs ne me laissent pas tranquille.
Elle chuchote à mon oreille des paroles qui me détruisent, qui me font tellement mal, que finalement, la colère reprend le dessus.

-Stop ! Je m'écris en donnant un violent coup de pied dans le lavabo.

La tuyauterie touchée, explose, et l'eau jaillit comme d'une fontaine.

-Ça suffit ; laisse moi tranquille ! Je hurle en tournant sur moi même, comme si je la cherchais. Je t'ai dit que je suis désolé, ce n'est pas ce que je voulais ! Je suis désolé !

Je m'arrête, haletant, comme si j'attendais sa réponse, et quand mes yeux se posent sur le miroir, ce n'est plus moi que je vois, mais elle.
Mon sang ne fait qu'un tour.
Ses lèvres s'entre-ouvrent, comme à chaque fois qu'elle est prête à le dire et je fonce droit vers elle.

-Tu m'as…

-Tais-toi !! Je hurle en envoyant mon poing dans le miroir. Arrête de faire ça ; arrête de dire ça !!

Le miroir se fissure et sa bouche s'ouvre en une expression choquée. Ses yeux vides d'émotion sont rivés aux miens, et alors que des morceaux de miroir se brisent et se décollent du mur, une larme de sang roule sous son oeil.
Je serre les mâchoires durement, et comme pour la faire disparaitre plus rapidement, j'arrache ce qu'il reste du miroir. Mes phalanges se sont ouvertes et mes doigts saignent mais je n'y porte pas la moindre attention.
Tout ce que je veux, c'est qu'elle me laisse tranquille.
Je recule de quelques pas pour observer le mur, au cas où elle serrait toujours là, et des sanglots étranglés s'échappent de ma poitrine. Je n'avais même pas remarqué que je pleurais.

N°2304Où les histoires vivent. Découvrez maintenant