Prise de court. Que dois-je comprendre à cette histoire de prototype ? Fait-il un pas en avant en ouvrant son cœur ou souhaite-t-il se contenter de mots comme il l'a fait jusqu'à présent ? Je lui souris tandis que le silence s'installe. Bouge, Elevin. Ne reste pas ainsi séparée de lui par la table basse. Décidément, il y a toujours un meuble entre nous. Un bureau d'amphithéâtre, un bureau d'étude et maintenant un bureau de conversation.
Je me lève : mon instinct me dit de rompre cette immobilité trop lourde. Il me suit des yeux alors que je me dirige vers sa bibliothèque. Du bois précieux proche de l'acajou mais un peu plus clair, accueille un temple du savoir fermé par des portes de verre.
« Droit civil français », par Aubry & Rau, 8 volumes reliés plein cuir avec dorure sur tranche. « Code Napoléon – 1804 ». Bon sang ! A côté des livres rares et anciens se côtoient des références plus récentes sur l'étagère à hauteur de mes yeux, essentiellement de droit privé et de droit du travail. Les noms les plus prestigieux se succèdent: Carbonnier, Cornu, Lyon-Caen, Guestin, Mazeaud. En bout de rayon, des ouvrages de philosophie juridique. Montesquieu, L'Esprit des lois. John Rawls, Théorie de la justice. Hegel, Principes de la philosophie du droit. C'est comme si les esprits les plus puissants de leur temps avaient trouvé ici une retraite paisible, se tenant chaud pour d'autres jours. Un sentiment d'apaisement me gagne. Tous ces auteurs me rassurent. C'est comme s'ils me regardaient avec bienveillance depuis leur refuge de bois et de verre, moi, l'étudiante, l'apprentie juriste qui contemple leur science avec admiration, du fond de mon ignorance. Une étagère au-dessus se serrent des volumes de la collection Pléiade. J'ai tellement rêvé d'en posséder, prenant cent fois la résolution de m'en offrir avec mon tout premier salaire. Dumas, Balzac, Flaubert mais aussi Camus, Duras, Yourcenar, Boulgakov, Borges... C'est un paradis. Mes yeux ne cessent de parcourir les noms de mes amis de papier, et je crois que je me suis mise à sourire en silence.
_On dirait que la magie opère...
Il s'est levé et se trouve désormais derrière moi.
_Les livres m'ont toujours émue, quels qu'ils soient. Mais je ne vois pas votre thèse sur la théorie du nouveau contrat.
Il rit.
_Elle est ici.
Il passe à côté de moi, ouvre un pan de verre et saisit un volume à l'extrémité de l'étagère la plus haute, là où il m'aurait fallu un tabouret pour atteindre les ouvrages. Je découvre un pavé sous une couverture grise, le titre et le nom de l'auteur en carmin, le tout dans la brillante collection "Bibliothèque de droit privé". Se tournant face à moi, il me tend la thèse tout en posant son autre main sur mon bras. Je prends le livre mais ne quitte pas le regard clair de ses yeux. Il ferme la distance entre nous ; soudain la pose chaleureuse de sa poitrine contre la mienne. Ses lèvres m'envahissent alors qu'une paix immense prend possession de mon être. Une seconde douce et humide s'empare de mon éternité. Je suis emportée. Mais je ne pensais pas que l'infini pouvait s'arrêter si vite. Alors que son baiser s'élance déjà dans mon passé, j'ouvre les yeux sur son nœud de cravate. Sa pression sur mes bras se fait plus tendre encore. Mon souffle s'est arrêté. J'ignore quand l'une de mes mains a pris l'initiative de se poser sur le revers de sa veste. L'autre tient la thèse. Lui chuchote dans un souffle de voix comme si nous étions entourés des murs sacrés d'une église :
_Je vous la confie...
Je n'ai pas le temps de lui répondre. Trois coups secs à la porte qui s'ouvre sur la jeune femme aux cheveux luxuriants, vêtue d'une robe vert bouteille ornée de volants. Talons aiguille et regard hautain entrent soudain dans la pièce. Raimondo Casapolti m'abandonne pour l'accueillir.
_Ah, laissez-moi vous présenter ma fille, Renata.
La princesse italienne me dévisage avec un mépris qui me transperce. Son seul regard suffit à m'humilier.
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Monsieur le Professeur
RomanceC'est la confusion des sentiments, la main aveugle et délicieuse qui vous pousse dans les bras de l'interdit...