L'imposante villa se dresse au sommet de sa montagne, entourée de pinède et de maquis, invisible depuis la route qui relie Partinello, Serriera, Ota et Piana. Seuls les natifs des villages en connaissent l'existence. La demeure aurait été bâtie à la fin du 19e siècle, lui donnant aujourd'hui ce côté suranné, comme la grande maison de Victor Hugo à Guernesey. Les fenêtres des deux étages donnent sur le jardin où se chamaillent des bouquets de thym, des cistes roses et blanches, des asphodèles délicates aux rayures prune et aux pistils flamboyants. La cuisine, la terrasse et les fenêtres du séjour s'ouvrent aussi de l'autre côté sur les montagnes fières recouvertes de forêt où serpentent des sentiers secrets. L'air sent le soleil, la terre chaude, le citron, l'huile d'olive et le romarin.
Notre arrivée avait été annoncée. Descendus de l'avion par une chaleur étouffante, un homme, apparemment voisin des Casapolti, nous a pris en charge à l'aéroport et nous avons rejoint la maison dans son 4x4. Il n'est pas loquace, je ne crois pas l'avoir entendu prononcer plus de deux mots, mais il échange avec Raimondo des regards confiants. Alors, je me laisse porter, sans doute ramollie par la chaleur, je fais confiance, ce qui n'est pas du tout dans mes habitudes de qui-vive. Descendant du véhicule, une brise emplie de l'odeur des pins rafraîchit mon visage. Raimondo fait le tour de la voiture pour me tenir la portière, m'aider à prendre pied pour la première fois de ma vie sur ce sol corse. Ce peuple n'est-il pas à bien des égards le cousin éloigné de ma parenté bretonne : fier, sauvage, prompt à la révolte et défendant sa terre. Ce pays n'est-il pas aussi le frère de ma divine Italie, la patrie de Raimondo et donc la mienne. Ses accents y chantent les mêmes notes, les mêmes voyelles. Vraiment, je vais me sentir chez moi pendant ces quelques jours.
Nous récupérons nos bagages, deux sacs légers où nous n'avons mis que l'essentiel. « Vu le monde qu'il y a toujours dans cette maison, vous ne manquerez de rien : il y a toujours quelqu'un pour prêter un pyjama ! », avait clamé gaiement mon Raimondo qui semble se faire une fête de ces quelques jours. D'après ce que j'ai compris, c'est une demeure ouverte aux quatre vents pour les amis, les cousins d'Italie, les confrères de Raimondo, les voisins qui viennent prendre des nouvelles avec deux bouteilles de vin, une miche de pain et un énorme fromage corse.
Nous remontons un sentier bordé de maquis dont les branches me griffent les jambes. Au bout du chemin, j'aperçois une femme qui se tient dans l'embrasure de la porte. Elle et Raimondo se fixent du regard, alors que nous approchons en soulevant de la poussière. Les mains croisées sur sa robe noire, les cheveux de sel relevés en chignon, elle arbore un regard clair, des traits déterminés et réguliers.
_Bonjour mère, dit Raimondo en déposant un baiser sur sa joue.
_Soyez les bienvenus mes enfants, dit-elle en me tendant sa main osseuse, son sourire franc me confirmant qu'il serait ridicule d'avoir peur, de craindre celle qui ressemble à une maîtresse-femme, un être à poigne.
_Merci pour votre hospitalité, Madame, dis-je en baissant le front pour lui indiquer d'emblée mon respect.
_Appelez-moi Alda, Elevin, et venez prendre un peu de fraîcheur à l'intérieur.
Sur la terrasse, une petite bonne replète, au tablier blanc en dentelle sur une robe noire, comme on en faisait encore au 19e siècle, nous sert une citronnade glacée. On croirait que le temps n'a pas de prise sur ces murs et les êtres qui les peuplent. Madame Casapolti nous a laissés seuls, Raimondo et moi, pour aller donner ses ordres à sa maisonnée.
Après avoir déjeuné frugalement de pain épais trempé dans l'huile d'olive, de salade et de fruits, nous descendons à la plage par un autre sentier, tout aussi dissimulé des regards indiscrets que les précédents. Dans les passages pentus et glissants, Raimondo qui se tient devant moi, m'aide à avancer en m'appuyant sur sa main. Nous avons changé nos vêtements parisiens au profit de pantalons de lin, de chemises amples et d'espadrilles. Raimondo s'est coiffé d'un élégant Borsalino de paille blanc avec un ruban camel. Même sa tenue de vacances fait de lui un roi.
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Monsieur le Professeur
RomanceC'est la confusion des sentiments, la main aveugle et délicieuse qui vous pousse dans les bras de l'interdit...