51 - Revivre

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L'aube déchire enfin les rideaux de la nuit. La lumière se lève sur mes goulées d'espoirs. Il doit être à peine 6 heures du matin. Angelo respire avec prudence à côté de moi. Je m'offre de longues respirations pour calmer mes braises. Pour récupérer de cette nuit sans sommeil. Ce soir, je vais voir Monsieur le Professeur. Il sera de retour d'Italie, le teint peut-être plus sombre qu'à son habitude. Il sentira peut-être le sable et le soleil, le vin subtil qui déborde des verres pendant les soirées tièdes, sous la treille couverte de citronniers. Respire, Elevin, car cette journée de mars sera fébrile et claire. Entre deux saisons.

Le café à peine fumant, Angelo me rappelle qu'il passe la soirée avec son club de photographie. Il rentrera tard. Étonnant comme parfois les planètes s'alignent sans qu'on n'ait rien demandé. Comme les heures de cette journée qui ne m'ont même pas empoisonnée. Elles ont coulé sans s'attarder. Comme si tout devenait facile. Je n'ai qu'à me laisser porter par le vent. Alors que j'ai toujours mal quelque part, au dos, au genou, à l'épaule, aujourd'hui je sens mon corps fluide, dégrippé. On y aura mis de l'huile de coude.

Et moi je marche sans douleurs.

Sans peines.

Sans peurs.

Avant de quitter la rédaction, j'ai changé mon tailleur pantalon au profit d'une robe vert foncé, accompagnée d'escarpins vernis. Je veux ressembler à celle que j'aurais été si je n'avais pas renoncé à Raimondo : une femme accomplie.

Afin de ne pas déranger Monsieur le Professeur dans la journée, j'ai pris l'initiative de passer le soir à son bureau. 20 heures me semble l'instant idéal pour la fin de journée d'un avocat. Mes années professionnelles en cabinet m'ont aussi un peu aidée. Je connais les habitudes des habitants du Barreau. Tout en marchant depuis la sortie du métro, j'observe l'avidité de mes pas qui engloutissent les pavés, trottoirs et landes de bitume. Peu à peu, les papillons reviennent troubler la quiétude de mon ventre. Ma respiration s'accélère. Comme autrefois, lorsque je le regardais monter les marches de l'estrade qui terminait l'amphithéâtre. Quand j'observais sa présence déployer sa vigueur. Sa puissance. La force obscure de sa virilité.

Je sonne à l'accueil alors que ma tête commence déjà à tourner. Reprends-toi Elevin. Pourquoi te sens-tu encore comme une étudiante ? N'as-tu rien appris depuis ? Ne t'es-tu pas renforcée ? Affirmée ? Et bien je le croyais. Je m'imaginais plus solide, mais Monsieur le Professeur a tout balayé la semaine dernière. La porte en bois se déclipe dans un bruit claquant. Je monte à l'étage. Nouveau déclic de porte. Toutes les portes s'ouvrent aujourd'hui. L'hôtesse d'accueil m'adresse un sourire confiant.

_Bonjour, pouvez-vous prévenir Maître Casapolti de mon arrivée ?

_Bonjour Madame, vous aviez rendez-vous ?

_Non mais il m'attend. Vous pouvez l'aviser de ma venue.

_Très bien.

Elle pianote je ne sais quoi sur son ordinateur. Je m'attendais plutôt à ce qu'elle appelle sa secrétaire. En tout cas, c'est comme ça que l'on faisait quand je travaillais en cabinet.

_Vous pouvez attendre ici, me dit-elle en me montrant les fauteuils moelleux du salon d'accueil.

Je n'ai pas l'intention de m'asseoir. Je vivrai cet instant debout. Il s'écoule peu de temps avant que je sente la porte s'ouvrir à nouveau. Monsieur le Professeur apparaît de toute sa hauteur, me jetant aussitôt son sortilège. Un coup au cœur. Une débandade de papillons fourmille dans mon estomac. Une décharge électrique parcourt mon corps de haut en bas. Un instant j'ai cru qu'elle allait tout éteindre. Couper le courant. Un grand manteau de laine bleu marine recouvre son costume, taillant ses épaules dans le roc, le rendant encore plus élégant. Il tient à la main une serviette porte-documents. Nous souriant timidement, nous avançons l'un vers l'autre dans une marche qui me semble inéluctable. Sa main est chaude, enveloppante. À elle seule, elle pourrait me faire défaillir. Son contact me donne déjà de la fièvre. Il se tient très près. Encore un centimètre et nous serions l'un contre l'autre. Il tient ma main et me regarde sans dire un mot. Ses yeux semblent dire « après ».

Monsieur le ProfesseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant