Chapitre 1

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Bonjour ! Voici le premier chapitre de ma nouvelle histoire "Attraction" ! J'espère qu'elle vous plaira autant que ma précédente histoire "Aie Confiance". 

Bonne lecture ! 😉


Le froid était terriblement mordant. Au sol, l'eau dévalait les caniveaux et Marie devait avoir une vigilance constante si elle ne voulait pas se retrouver trempée après avoir glissé. Elle resserra son châle autour de son cou, prise d'un frisson. A cette période de la journée, la rue était pleine de passants. Trémargat avait beau être une petite ville, elle connaissait un immense succès auprès des touristes. Malheureusement, cela ne suffisait pas à conserver l'anonymat. Malgré tous les efforts de la jeune femme, son grand-père et elle étaient connus de tous comme les chats noirs. Et pas forcément en bien.

"Marie est-elle orpheline ? Est-ce vrai qu'elle a empoisonné son ex-mari et s'est volontairement blessée par culpabilité ? Son grand-père Carl l'a-t-il agressée sexuellement ? Pourquoi aurait-il accueilli chez lui une telle traînée dans le cas contraire ?" Des rumeurs toutes plus dégradantes les unes que les autres courraient sur eux. Toutes étaient fausses mais Marie ne cherchait plus à les démanteler. Il était impossible de les empêcher de proférer des horreurs. Et puis, sans voix, qui pourrait bien la prendre au sérieux ? S'interposer ne ferait qu'augmenter les ragots.

Un touriste un peu éméché lui rentra dedans. Son cœur se mit à tambouriner plus fort : elle ne supportait pas la foule. Une foule qui l'angoissait et dans laquelle elle se savait à une place qu'elle ne devait pas occuper. Les regards intrigués voire hostiles des vendeurs lorsqu'ils la voyaient dégainer son petit carnet la rendaient mal-à-l'aise. 

Son accident avait eu lieu à moins d'un an, suite auquel elle avait perdu la voix, et l'apprentissage de la langue des signes demeurait extrêmement long. Sans compter le fait qu'hormis les muets et les sourds, personne ne l'apprend pour le plaisir. Alors son carnet et son crayon étaient ses meilleurs amis. Tout cela rendait la communication très fastidieuse. 

Les souvenirs concernant son ex-mari ainsi que son enfance étaient encore douloureux. Elle se reconstruisait petit à petit avec l'aide de son grand-père qui l'avait accueilli chez lui après le fiasco que fut son mariage avec Yahn. Il était tellement gentil avec Marie. La jeune femme ne l'avait vu que deux fois durant les dix premières années de sa vie : son grand-père aurait très bien pu  choisir de ne pas l'accueillir. Mais il se faisait vieux. A quatre-vingt ans, il n'était plus capable d'assumer entièrement son rôle de garde-forestier. Alors Marie l'aidait comme elle le pouvait... Notamment en faisant les courses à la ville. Carl n'était pas plus apprécié qu'elle à cause de son air bourru. Donc que ce soit elle ou lui ne faisait aucune différence auprès des habitants de Trémargat : les remarques fuseraient toujours sur leur passage dans les magasins ou dans les quartiers d'habitation.

Elle entra dans la petite boulangerie la plus excentrée de la ville. Une nouvelle vendeuse lui fit face. Formidable, nouveau regard méprisant en vue. La femme esquissa un sourire qui s'effaça dès qu'elle écrivit sa commande sur son carnet et désignant sa gorge meurtrie. Dans son regard s'inscrit de la pitié, de l'incompréhension. Surprenant, il y avait moins de dégoût qu'elle n'aurait pu s'y attendre. 

Parfois, Marie se détestait de ne pas avoir été assez forte pour résister à ses parents, pour résister à ce mariage arrangé. Pour résister à son ex-mari. 

D'être une charge supplémentaire à son grand-père.

D'avoir perdu la voix.

On lui dirait que rien n'était de sa faute. Les médecins le lui avaient dit. Son grand-père le lui avait dit. Certainement pas ses parents qui l'avaient presque vendu à Yahn pour ensuite disparaître. On lui dirait qu'il fallait vivre, même sans voix. En prenant le chemin de la forêt, elle essuya discrètement une larme. Chaque sortie était une torture. Elle avait toujours l'impression que tous les regards se tournaient en sa direction. Jamais elle ne retrouverait sa voix et elle en supportera les conséquences. 

Elle déposa ses courses sur la table de la cuisine du petit chalet de bois et entreprit de les ranger. Son grand-père,en l'entendant, l'y rejoint.

-Marie, je t'avais dit de ne pas aller en ville aujourd'hui. Tu n'y es pas à l'aise et je peux très bien y aller moi-même, dit-il d'un ton moralisateur.

Elle agrippa son carnet et griffonna à la hâte.

"Tu faisais ta sieste et je n'avais rien à faire. Et toi non plus, tu n'aimes pas te confronter à la société."

Il souffla. De toute façon, sa petite-fille était bien trop entêtée pour l'écouter. Il admirait son ardeur au travail. Elle travaillait avec acharnement à l'université mais n'oubliait jamais de l'aider dans son travail. Mais il savait également qu'elle n'était pas heureuse pour autant. Son enfance, des parents absents, puis son mariage arrangé avec cette enflure et son accident l'avaient énormément fragilisée émotionnellement. Elle donnait le change devant lui mais n'espérait en vérité plus grand-chose de la vie. Elle ne pouvait obtenir la somme d'argent nécessaire à l'opération qui pourrait lui rendre sa voix. Quelle torture cela devait-il être de savoir qu'il existait un moyen pour guérir son handicap et ne pas pouvoir l'atteindre... Marie avait perdu espoir et se contentait de sa petite vie médiocre au fond de la forêt. Carl espérait quelque chose de mieux pour sa petite-fille qui semblait pourtant avoir en elle tout le courage du monde. 

Comme chaque soir, la jeune femme sortit dans l'arrière-cours rejoindre l'abri à bois. Avec le froid de l'atmosphère, un feu dans la cheminée était indispensable. La pluie tombait sur ses frêles épaules, la glaçant plus qu'autre chose. Ses mains tremblaient tellement qu'elle ne parvint pas tout de suite à rassembler les forces nécessaires à soulever les cinq grosses bûches de bois choisies à la hâte. Normalement, elle aurait fait plusieurs trajets mais avec le froid, elle désirait seulement finir sa tâche le plus rapidement possible. La charge était bien trop lourde pour elle et ses membres se crispaient. Concentrée, elle ne perçut qu'au dernier moment le mouvement derrière elle. Sursautant, elle laissa échapper une bûche qui égratigna sa jambe avant de tomber sur son pied. La douleur lui tira une larme au coin de l'œil.

-Excusez-moi de vous avoir effrayée, mademoiselle, résonna une voix rauque. Vous allez bien ?  

Fin du premier chapitre. Qu'en pensez-vous ? Des remarques ? 😊

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