La vie aux mille visages (Tome 1)

4. Espérance

« À propos de ma sœur, si ces messieurs le permettent, je souhaiterais parler un peu d'elle, car elle a joué un grand rôle dans ma vie. Je pense donc opportun de lui dédier un petit aparté.

— Allez-y, parlez. »

Ma sœur et moi étions différents sur de multiples points, ce qui nous valait de nombreuses disputes. Pourtant je l'aimais, parfois...

Elle avait deux Cycles de plus que moi et aucune passion commune. Moi, j'étais plutôt réservé et je préférais souvent me retrouver seul. Ma sœur, elle, aimait attirer l'attention, faire son intéressante et faire le pitre. Plus il y avait de monde autour d'elle, mieux elle se portait.

Le caractère n'était pas l'unique élément qui nous différenciait. Le physique aussi. J'avais les cheveux fins, lisses et noirs comme l'ébène. Les siens étaient châtain très foncé, drus et ondulés. Mon visage était ovale comme une olive, le sien était en cœur avec un front subtilement large, des pommettes quasi inexistantes et un court menton. Mon nez sans forme, presque banale, rendait ma figure plate ; le sien, en forme de trompette, se mariait parfaitement avec son visage et avec ses prunelles vert d'eau qui lui donnaient un côté espiègle et jovial. Oui vous avez bien entendu ! Ma sœur avait les yeux verts, elle faisait partie de ces rares personnes qui se différenciaient physiquement, leur donnant alors un charme incontestable. Mes yeux à moi, aussi sombres que mes cheveux, étaient légèrement tombants et mes sourcils épais comme des poils de balai me donnaient un air pessimiste comme si je portais déjà le monde sur mes épaules.

Dans la vie de tous les jours, nous étions donc comme chien et chat, comme Luminaya et Noxe, comme le noir et le blanc, tels proton et neutron, tels le yin et le yang ; en bref, nous étions les opposés.

Ma sœur, je la trouvais inintéressante et chaque minute passée auprès d'elle était d'un ennui absolu. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi mes parents l'avaient appelée « Espérance », car pour moi elle représentait tout le contraire.

Ils auraient dû plutôt l'appeler « Ennuyante » ; toutefois pas sûr que cela figurait dans la liste des noms propres anciens et contemporains.

Malgré tous ces défauts, ma sœur possédait un atout : elle avait un physique attrayant.

Elle était jolie, elle plaisait, c'était certain. Son visage était agréable à regarder, ses yeux lui donnaient un avantage considérable. Son regard, bien que malicieux, pouvait aussi montrer une certaine innocence bien que son caractère tendait à prouver tout le contraire.

Ma sœur était une casse-cou, elle ne savait pas tenir en place. Elle était insolente et avait une attitude légèrement négligée. En aucun cas, je ne voyais quelconque espoir en ma sœur, alors pourquoi « Espérance » ?

En plus de ses nombreux défauts, elle était aussi jalouse de moi. Elle se plaignait sans arrêt du soi-disant favoritisme de ma mère : « c'est toujours lui que tu gâtes », disait-elle souvent. Après tout, il fallait bien un bouc émissaire.

Un jour cependant, je me rappelle qu'elle remonta dans mon estime. Ma mère m'avait privé de jeux virtuels, car je n'avais pas fini mon déjeuner. Alors, pendant qu'elle se reposait dans le jardin, j'en profitai pour saisir les lunettes de réalité virtuelle pour me plonger dans le monde de Pétri, mon héros écureuil préféré. Je sautais d'arbre en arbre dans une belle et vaste forêt de feuillus. C'était comme si j'incarnais cet agile animal. J'adorais la nature, et il faut le dire, ce n'était pas ce qui prédominait dans notre planète.

Espérance me prit en flagrant délit en train de désobéir et de saisir les lunettes que ma mère m'avait confisquées. Ça n'était pas vraiment dans mes habitudes de désobéir, mais quelque part, je trouvai cela injuste de me punir pour un plat de pâtes que je n'avais pas fini. En plus, elles étaient mal cuites...

Ce jour-là, ma sœur ne me dénonça pas, elle me fit juste une petite remarque sarcastique en passant devant moi : « Mon petit frère aurait-il un côté obscur ? »

En fin de compte, je compris pourquoi ma sœur désobéissait souvent ; cela procurait une étrange sensation de liberté loin d'être désagréable et bien que cela ne me ressemblât pas, je dois avouer que ça ne me déplaisait pas non plus. Comme en ce jour, elle aurait pu plusieurs fois me dénoncer, au lieu de ça, lorsqu'elle n'y voyait aucun intérêt, elle gardait mes bêtises pour elle.

Alors j'ai beau critiquer ma sœur et énumérer ses nombreuses imperfections, elle avait finalement plus d'une qualité ; elle était sincère, franche et loyale, et il ne serait pas de trop de dire que ses trois qualités prévalaient sur tous ses défauts...