5. Les Botwas

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« Messieurs puis madame, qui venez tout juste d'arriver : je sens que vous brûlez d'impatience d'en savoir plus sur nos camarades les êtres artificiels, et comme promis, je vais vous en dire plus. »

C'était lors d'un jour pas comme les autres, car il pleuvait, et cela n'arrivait pas souvent sur Chandra, que je décidais d'en savoir plus sur ce que nous appelions communément les sans-âmes.

Pour m'occuper, mes parents — qui ne savaient pas quoi faire de moi — m'autorisèrent à retourner dans la salle des connaissances. Cette fois, j'ouvris une fenêtre qui se nommait « Les Botwa » et visiblement, elle traitait des êtres artificiels qui vivaient sur notre planète.

Je devais admettre que même si la moitié de notre population était peuplée de robots, ils semblaient omniprésents dans les rues de Tiklit ; fourmillant dans les multiples galeries de la ville, la tête baissée comme par respect envers notre astre éternel.

Les intelligences artificielles étaient communément appelées chez nous les êtres artificiels ou bien les « Botwa ». Ce dernier avait néanmoins une connotation légèrement péjorative et désignait toute forme d'être conçu synthétiquement. Mais l'ultime insulte pour un Botwa était d'être dénommé un « sans-âme » et certains Chandréens ne se gênaient pas pour les baptiser ainsi.

Les premières intelligences artificielles avaient été créées pour les tâches ménagères et pour assister le peuple dans son travail quotidien. Aujourd'hui, elles faisaient toutes sortes de travail : les forces de l'ordre par exemple, étaient tous des robots au même titre que les autres professions appartenant aux services publics. De même, les professions les plus délaissées de la population telles que le recyclage des ordures, le nettoyage des rues, les services à la personne pour n'en citer que quelqu'un, étaient occupées par les Botwas.

Bien qu'ils ne fussent pas humains, ils nous ressemblaient pourtant à l'identique. En effet, il y a longtemps, trois ingénieurs avaient conçu une chaire semblable à la nôtre afin de l'appliquer sur des robots. Très vite, cette nouvelle technologie de création de tissu artificiel avait eu du succès et avait été appliquée aux autres parties du corps. Aujourd'hui, il est par conséquent presque impossible de distinguer un Botwa d'un être humain tellement la ressemblance est frappante. La seule façon de reconnaître un être artificiel au premier regard était grâce à son code-barre tatoué à l'encre blanche en haut de sa nuque.

Une autre méthode consistait à trouver leur semblable. En effet, beaucoup d'entre eux possédaient un physique similaire. Leurs traits, aussi bien caractériels que physiques, restaient beaucoup moins diversifiés que ceux des êtres humains parce qu'ils étaient conçus et clonés dans la même entreprise de conception, généralement groupés par famille de professions.

Cette ressemblance était surtout remarquable au sein d'un même District. Ainsi, presque la moitié des êtres artificiels de cette circonscription se ressemblaient, car ils avaient tous été clonés par les trois uniques fabriques. Les similitudes étaient encore plus notables lorsqu'il s'agissait d'intelligence artificielle travaillant pour une même entreprise. Ainsi, il était possible de voir trois ou quatre Botwas de physique identique dans la rue. À partir de là, il était facile de deviner qu'il s'agissait de robots.

Enfin, il serait fâcheux d'omettre la différence la plus importante que les êtres artificiels avaient avec nous : ils ne grandissaient pas. Ils avaient, pour leur vie donnée, le même âge et ne vieillissaient jamais sauf dans certains cas rares et exceptionnels. Ils étaient par avance programmés pour mourir à un certain moment. C'était d'ailleurs à l'appréciation de la personne ou bien de l'entreprise qui les concevaient de décider de leur sort et du nombre de Cycles qu'ils vivraient.

À la base, la plupart des Botwas avaient été conçus pour ne ressentir ni peine, ni douleur, ni dépression, ni amour. Ils avaient toutefois des émotions, mais elles restaient souvent très primitives ; programmées à un niveau très inférieur aux nôtres. Ainsi, le plus colérique des Botwas n'excédait jamais la colère d'un être humain irascible de nature sauf s'il était configuré spécialement pour être en colère.

En fait, la mission ou la profession allouée au robot servait de ligne principale pour déterminer son caractère. Par exemple, les Botwas appartenant aux Forces de l'Ordre étaient plus enclins à ressentir de l'aversion plutôt que de l'empathie. Au contraire, les Botwas exerçant les métiers hospitaliers étaient davantage programmés pour avoir de la compassion et de l'attention envers autrui.

La palette de leurs émotions était gérée par un puissant algorithme qui divisait simplement les sensations humaines en deux catégories : les négatives et les positives.

Les émotions négatives programmées comprenaient la colère, l'orgueil, l'ignorance et la pitié. Selon l'intensité paramétrée, ces émotions donnaient naissance à des sous-émotions qui étaient considérées alors comme secondaires.

Les émotions positives programmées englobaient la compassion, la connaissance, l'amour et la sagesse.

Chacune de ces émotions était par la suite jaugée sur une échelle métrique allant de zéro à cent points. Cette échelle comportementale donnait ainsi naissance à une classification caractérielle propre à chaque robot et à la profession qu'on lui avait attribuée.

À l'image d'une palette de couleur dans laquelle on mélange les nuances pour obtenir une seule et unique teinte, le mélange des émotions négatives et positives configurées donnait naissance à un caractère quasi unique.

Enfin, je ne saurais dire si ça avait été par orgueil ou par mesure de sécurité, mais les Chandréens avaient conféré seulement deux sens sur cinq aux Botwas : l'ouïe et la vue. L'odeur, le goût et le toucher n'avaient pas été programmés. Je trouvais cela particulièrement triste et injuste, leur vie devait être aussi morose qu'insipide.

Heureusement, de nombreuses associations et partis politiques se battaient aujourd'hui pour autoriser l'attribution de la programmation des trois autres sens. Après tout, pourquoi n'auraient-ils pas le droit de profiter pleinement de nos attributs ?

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant