23. Fragment III, partie II - Moscou, année 2021

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Nous venons tout juste changer d'année, et je dois dire que la nouvelle commence fort bien. Lundi, je rejoins Yulia comme convenu.

Je l'attends devant le bâtiment où elle passe la majorité de sa journée.

Elle sort de sa classe, me voit et se jette devant moi avec un grand sourire comme pour exprimer son enthousiasme. Qu'est-ce qu'elle est belle ! Nous faisons un pique-nique sur la pelouse de l'Université pendant trois jours de suite. Plus nous discutions, plus il était évident que nous étions faits l'un pour l'autre. Tout paraissait si fluide avec elle. Nous rigolions tout le temps. Les rares silences qui s'intercalaient entre certaines de nos conversations étaient aussi appréciables que nos moments les plus volubiles, car ils importaient autant qu'un soupir comptait dans un morceau de musique. Ces futiles moments, vides de mot, étaient telles des notes taciturnes dans lesquelles nous nous contemplions, une contemplation proche de celle d'un pèlerin fidèle à son dieu. Ces mêmes notes silencieuses permettaient à nos âmes respectives de communiquer par le regard en se murmurant des pensées à notre insu.

Je commençai à avoir confiance en moi, en nous, en notre relation qui n'était pour l'instant qu'à ses prémisses. C'était l'instant où le doute régnait ; rien n'était acquis, même si quelque part, l'attirance réciproque était évidente. Ce désir mutuel se manifestait petit à petit, d'abord par des regards, des sourires puis par des gestes. Notre fascination l'un pour l'autre se dévoilait timidement à la manière d'une fleur s'épanouissant délicatement sous les rayons d'un soleil de printemps.

Je ne me lassais pas de l'écouter, de la regarder, d'entendre sa voix douce et dynamique. Son comportement qui reflétait son enthousiasme, son aura envoûtante et sa bonne humeur dégageaient en elle une puissante énergie qui perçait les pores de ma peau pour se loger droit dans le cœur. Je venais tout juste de comprendre ce que signifiait « être amoureux »...

Arrive la fin de semaine, nous déjeunons encore une fois sur la pelouse de l'université, assis sous un beau et majestueux marronnier. Alors que le soleil et la chaleur sont toujours au rendez-vous, une petite brise légère vient nous caresser le visage rendant notre entrevue quotidienne encore plus agréable. Je la vois aujourd'hui et elle est aussi belle qu'hier. Elle porte un joli short serré de couleur gris pâle mettant en valeur les somptueuses formes naturelles de son corps. Elle a aussi un haut blanc élégant fait d'un tissu légèrement transparent, dévoilant subtilement et discrètement ses sous-vêtements sans que cela exsude une vulgarité provocante.

Aujourd'hui, elle avait attaché ses cheveux de miel en queue de cheval révélant ainsi son visage et ses merveilleux et harmonieux traits de jeune fille.

Après la pause de midi, je la raccompagne jusqu'à son bâtiment pour ne pas manquer un seul instant avec elle. Je serais même prêt à l'accompagner devant la porte de sa classe. Enfin, soyons raisonnables.

Nous nous embrassons sur la joue pour nous saluer. Son dernier baiser est insistant et plein de volupté, je ne savais pas que les lèvres pouvaient exprimer tant d'émotions sans rien dire...

Je lui souhaite un agréable après-midi sans oublier de remettre notre entrevue à demain. Elle accepte toujours suivie d'un sourire radieux. Les choses ont l'air de se dérouler petit à petit, mais ça me va comme ça. Avec elle, je n'ai pas envie de me précipiter, au contraire, je veux profiter de chaque moment. Je sais que tout arrivera à point nommé, sans forcer les choses, car le vrai amour ne se trouve pas, il se dévoile par lui-même.

Sur le chemin de retour pour rejoindre ma salle de classe située à l'opposé de la faculté, il n'y a pas une seule seconde où je ne pense pas à elle. L'Univers attendra avant d'être découvert...

Finalement, je finis les cours plus tôt que d'ordinaire et je décide d'aller faire un tour en centre-ville pour y acheter des fleurs. Je compte lui offrir un beau bouquet pour notre pique-nique de demain et si possible conclure la journée en l'embrassant.

Sur le chemin, je me sens léger et libre comme lorsqu'on se baigne nu dans la mer. Mon cœur, d'habitude froid et austère, s'est ouvert et est maintenant particulièrement vulnérable, je le sens. Mais pour elle, je suis prêt à souffrir.

Arrivé chez le fleuriste, j'achète un somptueux bouquet composé en majeur parti de roses blanches. Il sent le printemps. Je ne les ai pas choisis au hasard. Le blanc est la couleur de la pureté et de la neutralité, de la paix et de la quiétude. En choisir des rouges se révélerait être trop passionnel et rose, trop engageant.

Je sors du magasin avec ce beau bouquet et un sourire aux lèvres en imaginant mon rendez-vous avec elle. Je suis tellement absorbé dans mes pensées que je traverse la route sans prendre la peine de regarder s'il y a des voitures. Erreur fatale.

Un camion vient soudainement me percuter à pleine vitesse, je suis propulsé trois mètres plus loin, je roule par terre. Il pleut des roses. Elles se sont envolées dans le ciel pour finalement atterrir déchirées et éparpillées sur le tarmac brûlant de la ville. Tout se passe en une fraction de seconde, mais j'ai pourtant le temps de voir ma propre vie entière défiler devant mes yeux.

Je ne parviens plus à bouger, à respirer, je suffoque lentement, le ciel, d'abord vif et éclatant, s'obscurcit progressivement. Me voilà paralysé, j'ai perdu tout oxygène, que m'arrive-t-il ?

Je panique, car je ne peux rien faire. Les cieux s'assombrissent petit à petit, je pense à Yulia et je me sens soudainement triste, je sais que je ne la reverrai plus. Une douleur insoutenable m'assaillit alors et elle n'est pas physique. Je suis immobile, mes paupières s'alourdissent, ma tête tourne violemment, je crois que le rideau de la mort recouvre mon corps. Je ne veux pas partir maintenant, s'il te plaît Seigneur, épargne-moi... Fais que je la revois un jour, dans cette vie ou dans une autre. En vain, c'est visiblement mon heure.

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant