La vie aux mille visages (Tome 1)

34. Un rayon de lumière dans l'obscurité

On se retrouva dans le sombre et sinistre quartier de Iota. Il s'agissait d'un coin principalement mercantile, situé au troisième niveau et occupé par le clan adverse des Tsikilu. Seules de pâles lanternes archaïques éclairaient les rues de ce quartier. L'on sentait l'odeur de soufre à peu près dans l'ensemble d'Abîme, et elle était exacerbée à mesure que nous descendions dans les entrailles chaudes de Chandra.

En outre, nous savions que nous serions tranquilles ici, car presque aucun membre du clan des Totokisalo ne venait traîner là. Par chance, Extàaz ne possédait aucun signe qui l'identifiait à un gang en particulier, pouvant de ce fait trahir notre présence. Bien qu'elle fût la sœur d'un des membres des Totokisalo, elle ne faisait pas pour autant partie de cette organisation criminelle.

Nous nous réfugiâmes dans une petite cantina pas trop mal fréquentée. À notre arrivée, une odeur irritante enveloppa mes narines. Je reconnus alors cette odeur âcre de produit chimique, celle que j'avais senti une trentaine de révolutions passées, dans l'appartement de Matt. Oui, je parlais bien de la Woska.

Nous fîmes profil bas. Je me rappelle que nous portions tous les deux un blouson noir à capuche afin d'éviter d'attirer l'attention. Nous nous assîmes dans un coin sombre, près de l'entrée. Pour un premier rencard, je crois que j'avais connu mieux !

Toutefois, nous parlâmes pendant des heures. Elle me raconta d'abord sa vie et je dois admettre qu'elle n'avait pas été toute rose. Son père et sa mère avaient été assassinés par les Tsikilu lorsqu'elle avait quatre Cycles. Dès lors, ça avait été Yoktoz, qui, du haut de ses huit Cycles, s'occupa d'elle jusqu'à ce qu'il soit recueilli par le clan qu'il représentait aujourd'hui. C'était en partie en raison du décès de ses parents que Yoktoz s'était jetés bras ouvert aux Totokisalo, puisque ces derniers avaient pour pur ennemi les Tsikilu.

Extàaz m'expliqua qu'elle avait déjà tué l'un d'entre eux non pas pour venger la mort de ses parents, mais pour se défendre. Elle n'avait alors que dix Cycles. Comme si ses pensées étaient trop douloureuses à exprimer à travers des mots clairs, elle sous-entendit timidement par son regard et quelques gestes que l'homme avait tenté d'abuser d'elle.

Mon cœur se retourna subitement comme lorsqu'on a une révélation. Je réalisai que c'était cette pauvre petite fille que j'avais vue dans Abîme presque dix Cycles auparavant, en train de se débattre pour échapper à son ravisseur ; cette même fillette qui m'avait regardé avec des yeux remplis de détresse. Son regard, c'était bien elle... Plus de doute, voilà d'où me venait son visage étrangement familier. Quelle incroyable coïncidence tout de même ! J'en frissonne encore maintenant, voyez-vous.

J'eus beaucoup de peine pour elle et je ressentis l'envie soudaine de la serrer dans mes bras. Chose que je fis, mais plus tard dans la journée lorsqu'elle m'amena chez elle.

Suite à son histoire, je décidai de lui avouer les véritables raisons de ma descente dans Abîme. Je n'avais plus peur de lui dire que j'avais aussi une fois tué quelqu'un, car elle savait autant que moi ce qu'était que donner la mort. J'éprouvai alors un certain réconfort à lui dévoiler ce que je gardais pour moi depuis ce tragique événement. Quel bien fou que de me délivrer enfin de ce fardeau qui me hantait chaque heure qui passait sur cette planète.

Extàaz, je l'appréciais pour sa tolérance et son ouverture d'esprit. Au moins, elle ne me jugeait pas pour ce que j'avais fait, mais pour ce que j'étais.

Par la suite, nous passâmes vite à d'autres sujets et je lui relatai avec détails à quoi ressemblait la surface de notre planète. Je trouvai cela triste qu'elle n'y fût jamais allée d'autant plus que c'était une fille vive et intelligente et qu'elle aurait pu avoir une belle carrière là-haut. Alors, comme pour la séduire, je lui promis de l'emmener un jour ce qui la fit rêver.