Épilogue

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« Allez, réveille-toi mon gaillard ! réveille-toi ! » S'écriait un homme, le visage bienveillant, en partie recouvert d'une barbe châtain protubérante. Il donnait de violents à-coups, à l'aide de mains aux doigts trapus, sur le torse de l'individu qui gisait inconscient sur la plage.

« Appelez les secours ! Vite ! Qu'est-ce que vous attendez ! » Hurlait-il à un groupe de touristes qui regardaient cette scène, hébétés, comme s'il eut s'agit d'une comédie dramatique.

« Ne lâche rien ! » se disait Albert à lui-même. « Il vient de sauver ta fille, tu te dois de le sauver à ton tour. »

Mais malgré toute la bonne volonté du monde et ses infatigables efforts, l'homme au visage brun ne se réveillait pas comme s'il avait été plongé dans un profond sommeil. Quelques individus rejoignirent Albert pour l'encourager alors que d'autres étaient en train d'appeler les secours. Le brave homme barbu était maintenant encerclé comme s'il était la pièce maîtresse de ce tragique évènement.

Non loin de là, sa fille, qui, venant tout juste de reprendre ses esprits, était soutenue par une femme, l'aspect affable. Elle avançait d'un pas douloureux et lent vers la scène où une vie était en jeu. Elle aperçut alors cet homme brun, au visage calme comme s'il reposait déjà en paix, qui l'avait sauvé d'une noyade certaine. À mesure qu'elle s'approchait de lui, son regard, d'abord somnolent à cause de son état de choc, se transforma en un regard curieux et timide.

Elle s'arrêta à mi-chemin, ne voulant pas se joindre à cette cohue bienveillante comme si elle craignait d'être rejetée.

« S'il meurt, c'est à cause de moi », se disait-elle. Sa réflexion fît couler des larmes salines qui glissèrent délicatement de ses yeux châtaignes.

Le vent soufflait fort et poussait les épais nuages noirs vers le large, laissant ainsi au soleil une chance de reprendre sa place. Un rayon lumineux partant du ciel, aux couleurs torturées, frappa la plage et l'endroit même où se trouvait la scène de sauvetage apportant alors à ce funèbre spectacle un côté divin.

La jeune fille à la chevelure or, brunie comme un champ de blé brûlé par le soleil, croisa le regard de son père, démuni et inquiet tel un général d'armée réalisant que sa dernière bataille était perdue.

« Désolé, mon vieux », dit Albert, resté à genoux auprès de l'homme brun dont le cœur n'avait jamais redémarré.

« Merci d'avoir sauvé ma fille. Je te serai éternellement reconnaissant, puissions-nous nous retrouver au paradis ou dans une autre vie, je te serai à jamais serviable. Repose en paix », psalmodia-t-il d'une voix douloureuse et sincère.

Il se releva, défaitiste, alors que les individus qui avaient assisté à cette scène baissèrent leur tête humblement et par respect devant la mort elle-même, se disant en chacun d'eux qu'un jour, leur tour viendrait.

Albert se dirigea d'un pas lourd vers sa fille pour l'enlacer, son bras gauche enroulait la taille et sa main droite saisissait l'arrière de la tête, coinçant de cette manière sa longue chevelure dorée.

La jeune fille posa son visage contre le torse de son père, ferma les yeux tout en continuant de sangloter, encore sous le choc. Elle avait vu sa vie défilée en une fraction de seconde et elle y serait restée si ce brave homme n'était pas venu la chercher en mer pour la sauver.

Le temps s'était rapidement levé. Les nuages s'étaient maintenant éloignés. Le soleil avait repris ses droits.

Les promeneurs restèrent encore un moment sur la plage, autour de ce corps, sans finalement y prêter vraiment attention. Ils attendaient simplement les secours et parlaient de ce qu'ils avaient vu et manqué comme s'il s'agissait d'un feuilleton télévisé.

La jeune fille avait repris ses esprits. Elle se détacha des bras de son père pour se diriger vers ce corps sans vie, gisant sur le sable comme une épave. C'était la première fois qu'elle voyait la mort en face d'elle. Son cœur se mit à palpiter violemment à mesure qu'elle s'approchait de l'homme brun. Elle avançait lentement et prudemment tel un félin appréhendant un nouvel environnement, jusqu'à arriver près de lui.

Elle se mit à genoux sur la grève humide, lui jeta un regard désolé, mais emplit de reconnaissance.

Des fractions de pensées lapidèrent son esprit. Elle revoyait cet homme, en vie, la réconforter par des mots doux alors qu'elle était partiellement inconsciente dans les eaux de cet océan capricieux.

Elle revoyait ses puissants bras, musclés, la saisissant par le haut du corps afin de la sortir de l'eau et la traîner vers le rivage.

Elle revoyait son regard rassurant et confiant, ne laissant transparaître aucune crainte bien qu'il en eut.

Elle se souvenait de son odeur corporelle comme si elle avait vécu une vie entière à ses côtés.

Plusieurs minutes s'étaient écoulées pendant le sauvetage, pourtant elle avait l'impression qu'il s'était passé une éternité dans ses bras. Aujourd'hui, alors qu'il partait de ce monde, elle pleurait comme si c'était son mari qui l'avait laissée veuve.

« Je suis tellement désolé que cela doive se terminer ainsi pour toi. J'ignore comment tu t'appelles, si tu as une femme et des enfants, mais je te promets que j'irais les voir pour leur raconter ta bravoure », dit-elle alors qu'elle saisit sa main froide, le visage larmoyant.

Le jour des funérailles, la jeune fille et son père s'invitèrent au cortège mortuaire. Le soleil était étincelant et toute trace de nuages s'était dissipée ce qui contrastait avec l'atmosphère mélancolique, propre aux cimetières.

La famille était au-devant de la scène, en face du cercueil, la tête baissée, enivrée de chagrin. Un prêtre, vêtu de sa longue robe blanche, psalmodia quelques prières funestes ce qui eut pour effet d'exacerber l'affliction qui arboraient les rangs des déplorés.

L'un après l'autre, la famille et ses proches visitèrent une dernière fois le défunt afin de lui adresser leurs ultimes mots et leurs derniers adieux. Dans ces moments funèbres, le poids de chaque mot semble décuplé ; certains parviennent à les trouver, d'autres restent mutiques.

La jeune fille aux cheveux dorés s'approcha à son tour du cercueil, suivi de son père, Albert.

Elle tenait fermement dans sa main un collier aux mailles fines, sur lequel était accroché un médaillon en or. Un triangle inversé y était représenté alors qu'en son centre s'entrecroisait une paire de mains.

Elle se tenait maintenant devant l'homme brun qui, les yeux fermés, était contraint au sommeil éternel. Son visage était calme, paisible, comme si les fardeaux inhérents à la vie s'étaient définitivement dissipés.

La jeune fille le regarda, aphone, avant de se prononcer à son tour, en un murmure que seuls les morts peuvent entendre.

« J'ai appris ton prénom par ta famille, Santiago ».

Elle souriait.

« Je ne te remercierai jamais assez pour ce que tu as fait pour moi. J'aurais tellement aimé te connaître, t'entendre, t'écouter.

Mon père croit que nous avons une existence après celle-là, alors si c'est le cas, je ferai en sorte de te retrouver pour que tu entendes de vive voix mes remerciements.

C'est avec solennité que je te donne ce médaillon que m'a offert ma grand-mère avant de mourir. Il est d'une grande valeur dans la famille.

Puisse-t-il nous permettre de nous retrouver après cette vie. Alors, si tu m'entends, imprègne ton âme de ce symbole qui y est gravé, car il disparaîtra en ce jour, avec toi. » Finit-elle par lui dire en ces ultimes mots comme si son esprit continuait de subsister autour d'elle.

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant