40. Dans le nid des Tsikilu

12 2 0
                                    

Je m'avançai prudemment dans un couloir étroit aux parois composées d'une roche poreuse. Le sol était recouvert d'une poudre ocre rougeâtre provenant de l'érosion des murs non entretenus. De petites lanternes étaient pendues au plafond de manière irrégulière et dégageaient une lumière sombre aux teintes orangées. Je n'étais pas seul. À plusieurs reprises, je croisai quelques individus à la mine patibulaire. Je leur ressemblais comme deux gouttes d'eau et je me fondais plutôt bien dans la masse tel un caméléon qui adapte sa couleur de peau selon son environnement. Je restai néanmoins circonspect, attentif aux moindres mouvements et mots que j'entendais.

Une odeur nauséabonde vint soudainement me pincer les narines, elle provenait du bout du couloir. Au loin, j'aperçus une vive lueur éclairant un groupe de Tsikilu, affalés autour d'une table. J'avançai à l'aveugle, dans un environnement que je ne connaissais guère. Mais étrangement, je crois que j'avais le goût du risque.

J'arrivai dans une large pièce arrondie. Le plafond était relativement bas. L'endroit était composé de quatre entrées toutes équidistantes les unes des autres. Je venais de l'une d'entre elles. Au-dessus de chacune, une inscription gravée dans la roche indiquait des coordonnées qui semblaient géographiques. Ces galeries étaient en fait un vrai labyrinthe, une fourmilière dans lesquels se trouvaient uniquement des individus redoutables et abjects.

Au centre de la pièce, il y avait une table rectangulaire constituée d'un bois âgé et d'une essence sombre. Je retrouvai les quatre hommes que j'avais aperçus au bout du couloir. Ils étaient en train de manger de la viande dont la couleur de la chair ne m'évoquait rien. La réponse se trouvait sur le sol non loin de la table, où des ossements de carcasses humaines gisaient çà et là. L'odeur pestilentielle qui envahissait la pièce venait probablement de ce tas d'os. Les émanations nauséabondes qui en résultaient donnaient l'impression de se trouver dans des égouts.

À mon arrivée, ils se retournèrent tous les quatre pour m'identifier, puis l'un d'entre eux me fit signe de m'approcher avec sa main.

— Tobkia kin ! Tobkia kin!

Épouvanté, je réalisai que je n'avais pas compris ce qu'il m'avait dit. Ma puce était-elle hors service ? J'espérai que non. Je ne pouvais pas stopper ma marche pour autant sinon je risquai de passer pour quelqu'un de suspect. Je continuai donc d'avancer en essayant de rester serein.

L'homme qui m'avait interpellé et qui paraissait être le plus costaud d'entre tous tira avec une douce violence un petit tabouret qui se trouvait en bout de table, puis il m'invita chaleureusement à m'assoir.

— Kolo kial lé totoa ?

Je ne compris toujours pas ce qu'il me dit. Une poussée d'adrénaline fugace alimenta mon cœur dont les battements, de plus en plus rapides, venaient rythmer mes émotions.

Je hochai la tête bêtement et de manière affirmative, erreur regrettable dans un contexte d'incompréhension. J'espérais seulement qu'il me demandât comment j'allais.

Je le vis découper un morceau de viande qui se trouvait au centre de la table, il en arracha un bout qu'il plaça dans une auge métallique. Il me tendit généreusement. Je compris alors qu'il m'avait simplement invité à son repas. Plutôt convivial ! pensai-je sarcastiquement.

Je saisis le récipient. J'allais goûter pour la première fois à ce qui semblait être de la chair humaine. Quel dégoût !

Je n'avais pas faim, mais je ne pouvais pas refuser cette invitation, ils devaient me voir comme quelqu'un de peu loquace et louche, alors il fallait vraiment que je me fasse petit. Je me répétai plusieurs fois à moi même : « Pourvu qu'ils ne me questionnent pas, pourvu que ma puce fonctionne à nouveau ».

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant