19. Première découverte d'Abîme

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Depuis que j'ai mentionné son nom, je lis dans votre regard une certaine impatience. Vous vous demandez bien à quoi peut ressembler ce monde. Pour être honnête, je n'avais encore rien vu de pareil.

Les portes s'ouvrirent et un couloir étroit plongé totalement dans l'obscurité se profilait tout en longueur devant moi. À voir la couche de poussière sur le sol et les toiles d'araignées qui tapissaient les murs comme du papier peint, il n'avait sûrement pas été emprunté pendant plusieurs Cycles. Mes premiers pas furent délicats. Je marchai avec prudence. Des petites lampes accrochées aux parois telles des sangsues sur la peau éclairaient timidement le couloir en une lumière violacée rendant l'atmosphère étrange et pesante. Si mes parents savaient où je me trouvais, ils m'auraient flanqué une sacrée rouste.

Je marchai dix bonnes minutes. De légers ruissellements se firent entendre comme si je suivais le cours d'un ruisseau.

Le couloir semblait interminable. Albert s'était-il moqué de moi ? Je sentis une nouvelle fois la peur m'envahir.

Après une marche circonspecte, j'entrevis enfin une sombre lueur en forme de fente au bout du corridor. Mes oreilles ne cessaient de se boucher ; ça devait être la différence de pression entre la surface et le premier niveau qui se situait selon le Biggie à cent mètres en dessous du sol.

Des bruits, bien que feutrés, commencèrent à se faire entendre. Je j'avançai toujours avec la méfiance d'un animal battu.

J'évoluai maintenant dans une pâle noirceur, car les lanternes qui éclairaient auparavant le couloir étaient à cet endroit, détruites. C'était maintenant devenu le royaume de l'ombre. Je comprenais pourquoi beaucoup de Chandréens détestaient l'obscurité. On s'y sentait tellement en insécurité...

Les bruits devinrent plus tonitruants et claquants alors que les ruissellements dans les canalisations disparaissaient petit à petit pour laisser place à ce que je qualifierai de vacarme urbain. Je commençai à reconnaître le martèlement des pas des gens qui fourmillaient dans les rues d'Abîme.

Je pensai être ébloui en arrivant au bout du tunnel, mais la luminosité n'était pas bien différente de celle du corridor. J'enfilai alors la couverture que m'avait donnée Albert de manière à ce que mon visage fût voilé puis je sortis enfin du couloir par l'étroite cicatrice, pas bien plus épaisse qu'une meurtrière de château fort. Je me demandai même comment j'étais parvenu à passer.

Je fis halte pour scruter les environ. Je me trouvai dans une rue incurvée dans la roche. Seul un côté donnait sur le vide infini de l'abîme. Par réflexe, je levai les yeux vers le ciel, mais mon regard se heurta à un plafond fait de béton coulé. C'était comme si j'étais dans une tranchée, mais que le vide se trouvait à ma gauche.

Comme j'avais pu l'entrevoir depuis la surface, toutes les rues, les habitations, les magasins étaient creusés dans la pierre. Il s'agissait d'une véritable ville troglodyte qui s'étalait sur plusieurs étages. Les architectes qui avaient bâti cette ville étaient finalement plus des sculpteurs hors norme qu'autre chose.

Parfois, la lumière divine de notre étoile parvenait à éclairer quelques morceaux de rues. C'était pendant ces brefs instants de luminosité que je remarquai que tout était archaïque, comme si nous étions revenus à l'âge de bronze.

Pendant les premières minutes de mon excursion, je restai bouche bée, ahuri face à ce décor, cette ambiance, cette ville hors du commun. Si quelqu'un me voyait maintenant, il me prendrait pour un demeuré.

Je repris la marche tout en jetant des coups d'œil par-ci par-là. Les rues grouillaient de monde. Le sol était jonché de mendiants réclamants de malheureuses piécettes. À certains endroits, il m'était difficile de passer tellement il y en avait partout. Des cris, des pleurs, des plaintes, cette rue était un vrai chemin des lamentations. Cela me fit beaucoup de peine et pour être honnête, je n'avais jamais rien vu de tel. Comment des gens pouvaient-ils vivre dans cette misère ? Comment pouvions-nous les laisser périr comme ça depuis la surface ?

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant