C'est en pleine période d'adolescence que je me rendis compte qu'une partie de mon caractère avait changé. Je m'étais épanoui au point de devenir presque sociable alors que les multiples questions métaphysiques que je me posais étant plus jeune prenaient petit à petit le large. Je crois que cette étrange rencontre avec le vieux Albert suivi de ma visite dans le noyau de notre planète y était pour quelque chose. Mes parents étaient riches, comme la plupart des Chandréens de Tiklit. Pourtant quand mes pensées venaient effleurer le visage amical d'Albert et qu'elles me rappelaient qu'il ne semblait pas si malheureux, je me demandai si l'argent était la source principale de bonheur. Après tout, ce vieillard m'avait paru bien plus serein que mon père.
Le Monde à la surface n'était pas si beau qu'il en avait l'air. Tiklit n'était qu'une vitrine dans laquelle la population se mentait à elle-même. Comment ignorer ce qui se passait en bas alors qu'un trou béant constituait une partie de la ville ? Sans parler de la face cachée de notre planète qui était restée tabou et que personne ici n'osait mentionner. Tout cela attisait ma curiosité...
Du haut de notre grand appartement au cent cinquantième étage, je ressentais de plus en plus cette perpétuelle énergie négative que mes parents entretenaient avec ferveur comme s'ils s'en complaisaient. Petit à petit ils détruisaient — sans même qu'ils s'en rendissent compte — notre foyer familial. J'étais particulièrement sensible à cette pesante atmosphère qui excellait dans l'art de me pincer les entrailles. Être chez moi était devenu presque comme une punition. Du coup, j'errais la plupart du temps dans les rues de notre Commune avec Danny et Yolvo à mes côtés.
Parfois, nous nous ennuyions tellement que l'oisiveté nous amenait à faire des choses stupides ; comme ce jour où j'eus cette idée machiavélique de dessiner mon névrotique symbole sur un wagon, symbole qui continuait inlassablement de me heurter l'esprit.
J'avais alors entraîné Danny et Yolvo avec moi qui avaient accepté de se joindre à moi avec enthousiasme. Yolvo avait cependant répété plusieurs fois que c'était risqué et que nous allions avoir des problèmes ; Yolvo et son pessimisme maladif ! Il n'avait pas tort cette fois-ci, mais heureusement que Danny était là pour équilibrer la balance la plupart du temps.
Alors que mes deux complices me couvraient, j'avais réussi à dessiner mon maudit symbole sur l'arrière du wagon. J'étais fier de moi et soulagé de pouvoir évacuer par le dessin ces visions répétitives du signe tapi inlassablement dans mon inconscient.
En fin de compte, nous nous fîmes attraper par une caméra de surveillance et deux Gardiens Botwas nous arrêtèrent pour nous emmener en garde à vue.
Nos parents respectifs étaient venus nous récupérer et nous avions été chacun punis pour notre acte de vandalisme. C'est ce jour-ci que je compris que Danny et Yolvo étaient plus que de simples camarades. Ils ne m'avaient pas lâché et avaient assumé pleinement cette bêtise autant que moi alors qu'ils avaient juste regardé dessiner mon œuvre (si l'on pouvait appeler ça une œuvre).
En fin de compte, ce furent mes parents qui payèrent l'amende ainsi que les dommages et intérêts au communal ayant subi les préjudices.
Alors que cet évènement un tant soit peu ridicule fut loin derrière moi, j'eus mon premier cours sur les émotions artificielles, matière intitulée « Première approche des émotions Artificielles Appliquées ». Il s'agissait d'une leçon très intéressante à propos des mélanges complexes d'émotions programmées dans les Botwas. Je me souvenais particulièrement de ce jour, car lorsque je quittai l'établissement et traversai la rue principale de notre District, vaste artère parcourant le nord et le sud de notre zone et où de multiples wagons faisaient d'inlassables allées retours dans un vacarme strident, l'une de ces conserves ambulantes me passa juste sous le nez. Je me rendis compte que si j'avais traversé cinq secondes plus tard, je me serais retrouvé brusquement fauché et ma vie se serait très certainement terminée là. Pendant ces quelques secondes qui suivirent cet évènement, je ressentis une profonde sensation physiquement douloureuse dans mon corps qui m'était étrangement familière, comme si j'avais déjà expérimenté un tel accident. Encore plus étrange, ce n'était pas la scène elle-même qui m'avait donné un semblant de déjà-vu, mais plutôt cette douleur qui m'avait traversé le corps l'espace de quelques secondes. Était-ce possible que j'eusse déjà vécu cela dans une autre vie ? Je repris vite mes esprits en me sentant ridicule à la seule idée de penser cela.
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La vie aux mille visages (Tome 1)
Science Fiction300 ans après le départ de ses ancêtres fuyant la Terre dévastée, Ethan, jeune habitant de la planète Chandra, cherche un sens à la vie. Cette quête ainsi qu'un rêve récurrent vont l'entraîner dans des aventures palpitantes dans un Monde ambivalent...