21. La complicité rapproche...

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J'émerge de mon sommeil lorsque je reçois trois claques dans la figure. Quel réveil brutal ! Cela me ramène rapidement à la réalité.

« Sieste terminée ! Il est temps de reprendre votre histoire.

— Bien sûr ! Bien sûr ! Où en étais-je ! Excusez-moi, je ne suis pas très réveillé... Ah oui ! Voilà... »

Durant le Cycle qui suivit mon excursion dans les sous-sols cachés de la planète, ma sœur et moi nous étions étroitement rapprochés. Tout avait commencé lorsqu'elle était rentrée un après-midi plus tard que d'habitude. Je l'avais surprise par hasard dans la salle de bain, nue, avec un tatouage dessiné dans le haut du dos, entre les deux omoplates. C'était une jolie rosace posée sur une sorte de pendule.

À ce moment-là, elle venait tout juste d'avoir seize Cycles alors que j'en avais quatorze. Je me rappelle m'être senti particulièrement gêné au moment où je l'aperçus dénudée dans la salle de bain. Il faut le dire, elle était de plus en plus belle. Elle s'était affinée et avait perdu les kilos en trop de l'enfance. Sa longue chevelure noir-ébène qui tombait sur sa poitrine venait cacher ses deux jolis petits seins encore discrets pour son âge. Son visage, légèrement émoussé avec le temps, paraissait aussi doux que l'herbe d'été alors que son regard était toujours vif telle la lueur de notre astre éternel.

Lorsqu'elle m'aperçut au seuil de la porte, elle fut surprise et me cria dessus en me faisant signe de déguerpir, ce que je fis sans contester.

Par la suite, je crois que ma sœur craignait que je rapportasse ce qu'elle cachait depuis plusieurs mois à nos parents, car ce n'était que quelque temps après l'avoir vue nue qu'elle frappa à la porte de ma chambre et je savais très bien de quoi elle voulait parler.

J'ouvris. Elle m'attendait derrière, l'air excédé.

— Tu as cinq minutes ?

— Oui.

Je lui fis signe d'entrer. Ce moment était presque solennel, car je ne laissais jamais Espérance aller dans ma chambre. Je crois même que c'était une première.

— Ce que tu as vu l'autre fois, tu ne comptes pas en parler à papa et maman ?

— Ne t'inquiète pas, je ne dirai rien.

Son visage se transforma soudainement et devint presque angélique. Elle s'attendait très certainement à ce que je la fisse chanter, mais j'avais grandi et j'en avais déjà assez d'écouter les querelles entre mes parents, Espérance et moi. Nous devions maintenant nous serrer les coudes et trouver un terrain d'entente.

Elle me fit promettre trois fois de ne rien dire. J'acquiesçai.

Depuis cette soirée où elle entra dans ma chambre pour me parler, ma sœur fut beaucoup plus agréable avec moi. Dorénavant, c'étaient mes parents qui absorbaient tous ses caprices et les raisons qui en étaient l'origine. À vrai dire, elle était en pleine crise d'adolescence et se moquait complètement de ce que pouvaient dire ma mère et mon père. Les scènes de ménage étaient devenues plus intenses. Une pesante colère générale régnait dans la maison. Cette invisible énergie pénétrait petit à petit mon cœurf qui s'imprégnait doucement de ces mauvaises ondes.

Un jour, alors que ma mère l'avait missionnée pour qu'elle m'emmenât à l'école, elle se fit harceler par deux élèves de son établissement. Ils commencèrent par lui faire de légers attouchements. Je n'étais pas dupe et compris rapidement leurs intentions malveillantes.

Cette scène me rappelait celle que j'avais vécu dans Abîme lorsque j'avais aperçu cette fillette se faire agresser dans la pénombre de la ville souterraine. Alors, une soudaine réaction se produisit en moi, une réaction que je n'avais jamais eue avant... Ma peau devint subitement rouge, une profonde colère prit forme dans mon cœur et une bouffée d'animosité vint imprégner mon esprit. De là, de violentes pensées tintinnabulèrent dans ma tête ayant pour seule conséquence de me faire agir instinctivement et de foncer tête baissée sur l'un des agresseurs. Je donnai d'abord un coup de poing de toutes mes forces dans son ventre, il se tordit de douleur. Son camarade en profita lâchement pour me frapper en plein dans le nez. Du sang gicla sur ma chemise à carreaux rouge, bon choix d'avoir opté pour cette couleur ce matin !

Ma sœur se mit à hurler nous criant d'arrêter cette rixe tout en essayant de nous séparer. Heureusement, nous étions près de l'établissement scolaire, du coup un père de famille intervînt pour calmer la situation.

En fin de compte, les deux élèves repartirent en psalmodiant quelques insultes, de mon côté j'avais hérité d'un nez cassé déversant un torrent de liquide pourpre sur le sol chaud et bitumineux de Tiklit.

Ma sœur ne me remercia pas de l'avoir défendu, mais elle ne m'enguirlanda pas non plus. Elle se contenta de rester silencieuse et fit comme si rien ne s'était passé. Elle me donna un mouchoir et me demanda si je souhaitai aller à l'infirmerie, mais je refusai.

Par la suite, je repensai à ma réaction protectrice. Je ne m'imaginais pas aussi téméraire. Le fait que ces garçons aient touché à Espérance m'avait déplu et mis hors de moi. Je crois que je n'avais jamais ressenti une telle colère capable de me pousser à être violent. C'est incroyable comme certaines situations nous dévoilent des faces cachées de notre personnalité, jamais je n'aurais pensé un jour frapper qui que ce soit, car j'étais quelqu'un de calme, loin d'être bagarreur.

Le Cycle suivant cette altercation, je me rapprochai encore davantage de ma sœur puisque, vivant les prémisses de l'adolescence, nous nous comprenions mieux que par le passé et puis nous partagions un peu plus nos vies intimes. Je devins même par la suite plus protecteur. Finalement, lorsque je ne passai pas mon temps à errer dans la ville avec Yolvo et Danny, c'était avec Espérance que je le passais.

Néanmoins, ma relation avec elle se tempéra lorsque je rencontrai mon premier amour "de passage". Je précise "de passage" parce qu'il fut relativement éclair. Elle s'appelait Joy et elle portait bien son prénom, c'était une fille très souriante et qui inspirait la gaieté. C'était un amour déséquilibré, car elle était follement amoureuse de moi alors que je ne l'étais pas. Je ne saurais expliquer pourquoi, le cœur a ses raisons que la raison elle-même ignore. Au fond de moi, je crois que je n'avais pas vraiment eu cette petite étincelle dont on parle si souvent dans les histoires et les films, et qui, je le sais maintenant, existe véritablement.

Elle était pourtant jolie cette Joy. Plutôt de petite taille, elle avait une figure ronde, les cheveux soyeux, courts et de couleur châtain foncé. Ils se mariaient parfaitement avec ses yeux qui étaient d'un marron profondément marqué. Son visage était radieux, sa peau douce, mais ce que j'aimais le plus chez elle était ses lèvres qui étaient charnues. L'embrasser était un vrai plaisir !

Bien que notre relation fût encore innocente de par notre jeune âge, j'essayai de me prêter au jeu afin de voir ce qu'être en couple signifiait puis peut-être aussi pour me donner un genre. Mais je crois que c'était surtout le fait d'être autant aimé qui me plaisait, vous savez lorsque vous avez cette impression d'être important aux yeux de quelqu'un ? Et que vous la rendez heureuse ? C'était très agréable.

Malgré cela, je me sentais parfois malhonnête vis-à-vis de ce que je ressentais pour elle. Mes sentiments, aussi légers que sclérosés comparés aux siens, semblaient se faner rapidement. Je demandai alors quelques conseils à Espérance, notamment sur mon manque d'enthousiasme concernant cette relation.

Elle me réconforta en me disant qu'il ne fallait pas se poser tant de questions, que j'étais encore jeune et que j'avais le temps de tomber amoureux. De même, elle me fit remarquer que la vie n'était pas un film, que nous n'étions pas des animaux et que les sentiments ne se commandaient pas.

Étrangement, je ne l'ai cru qu'à moitié, je pense qu'au fond de moi, je tempérais mes émotions, car j'avais peur de m'accrocher et de souffrir.

En fin de compte, je mis un terme à notre relation après trois révolutions. Je finis par rompre pendant une pause déjeuner, alors que nous mangions en tête à tête à la cantine du nouvel établissement scolaire dans lequel je me trouvais.

C'était la première et dernière fois que je vis Joy pleurer. Je crois que la sensation d'abandonner est presque pire que celle d'être abandonné. Néanmoins, lorsque je l'aperçus deux révolutions plus tard donner la main à un autre garçon, ma peine s'estompa pour laisser place à un léger sentiment de jalousie. Pourtant, j'aurais dû être content pour elle, mais c'était comme si ma fierté avait été atteinte. Cette sensation dérangeante dura finalement à peine une révolution, car à vrai dire, d'autres préoccupations me trottaient dans la tête.

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant