44. Introspection

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Le temps imparti s'était écoulé. Les chances qu'Extàaz fût encore en vie s'amenuisaient. De toute manière, j'étais, au même titre qu'elle, destiné à mourir dans ce trou béant perdu et nauséabond. Je m'en voulais tellement d'avoir échoué dans ma mission. Je lui avais promis que je reviendrais la sauver et voilà que j'étais pris entre quatre murs, à attendre comme elle que mon heure arrive.

Comment pouvais-je m'en sortir vivant ? songeais-je. J'avais à peine mangé en une demi-révolution, et rien bu ; je me sentais affaibli et en plus de ça je n'étais pas préparé pour un combat quelconque. Il était dur pour moi d'être optimiste dans un tel moment de désespoir. Pour autant, je ne comptais pas me laisser abattre. Ce qui me différenciait et me donnait peut-être l'avantage sur mon futur ennemi, c'était ma volonté, ma motivation, mon instinct de survie poussé à son paroxysme.

Je décidai de me préparer mentalement. Je fermai les yeux et essayai de rentrer dans une phase méditative afin d'oublier tout autour de moi : mes peurs, mes envies, ma haine, ce cachot, ces galeries maudites, ces monstrueux cannibales, Extàaz... Un frisson m'envahit lorsque je pensai à elle ; je ne devais absolument pas perdre ce combat, c'était inconcevable. Je me battrai jusqu'à la mort, je deviendrai une véritable bête sauvage que rien n'arrêtera, songeais je.

Cette phase méditative me permit de me recentrer sur moi-même pendant un court instant et cela me soulagea.

Je n'avais plus vraiment la notion du temps, mais lorsque la porte du cachot s'ouvrit, je compris que mon heure était arrivée.

Je me levais, mon corps était toujours douloureux, fruit de ses dernières heures passées par terre comme un animal battu. Un des gardes retira les chaînes qui avaient enserrées mes mains pendant tout ce temps. Une sensation de liberté factice naquit en moi. Quelle horrible illusion ! On me libérait pour aller tout droit dans le berceau de la mort.

Je restai néanmoins muet, ne prononçant aucun mot et acceptant tout simplement mon sort. Que pouvais-je faire de plus ? me dis-je.

Sur mon chemin de croix, je repensai à mon existence et ce qu'elle avait été jusque là et je me disais que si je mourais maintenant, alors c'est qu'elle n'avait eu aucun sens. Qu'avais-je fait de bien ? Qu'avais-je fait pour contribuer à améliorer ce monde ? RIEN ! songeais-je. J'avais juste essayé de me comprendre, de savoir d'où je venais en survivant tant bien que mal ; je me trouvais soudainement égoïste, car je me rendais compte que je m'étais trop peu soucié des autres, que mon existence s'était articulée seulement autour de mon propre bonheur. Et puis finalement, le peu de personnes dont je m'étais préoccupé ne faisait plus partie de ma vie. Ma sœur, avec qui je m'étais disputé avant de descendre ici. L'étrange Albert, qui apparaissait toujours dans les tournants de ma vie. Ma pauvre mère, que je n'avais pas vue sombrer dans la dépression et qui s'était donné la mort. J'allais d'ailleurs bientôt la rejoindre... Devais-je m'en réjouir ? Me demandais-je. Mon père ? Je me souvenais encore de ces vacances où l'on orbitait autour de notre planète grise. Je la regardais de haut avec fierté. Et de ces instants de calme dans la Ville Rouge de La Trigga, flottant comme un nénuphar sur les eaux diaphanes du lac Luminaya. Mon père, qui ne s'était finalement jamais vraiment soucié de nous, n'était pas là non plus aujourd'hui pour ma mise à mort. Finalement, j'étais bien seul. Je fondis alors en larme. Cette profonde nostalgie aussi inopinée que soudaine vint me secouer l'esprit comme l'on remue un tapis sale pour en chasser la poussière.

Mes mains étaient toujours enchaînées à des menottes en fer brut. Elles étaient froides comme si c'était la première fois que je les portais.

Deux gardes m'escortaient de près comme si j'étais un grand bandit de renom. Je faisais pourtant pâle figure à côté de ces deux grosses brutes.

Mes pas étaient lourds, mon souffle soutenu, je tremblais de peur alors que je marchais à travers un tunnel étroit, au mur en béton décrépi, couvert d'inscriptions et de tags aux formes obscènes. L'atmosphère était pesante, j'avais chaud, je suais presque. Au bout du couloir, j'entendis un bruit feutré qui sortait de ce dédale de pierres. C'étaient les cris et hurlements des centaines d'individus qui proféraient des injures à l'adversaire du combattant qu'ils soutenaient. Je venais d'arriver à l'endroit où allait se dérouler ma mise à mort.

Les gardes me firent d'abord entrer dans une petite pièce ténébreuse composée d'une seule porte grillagée, elle menait directement à l'arène. Il n'y avait pas de lampe dans cette cellule et la lumière provenait uniquement de la portière.

Je me retrouvai alors une nouvelle fois cloisonné entre quatre murs, cette fois faite d'un béton coulé gris foncé. Sur l'une des façades, on pouvait voir des traces de griffes, certainement des anciens condamnés comme moi qui pensaient pouvoir déchirer les murs afin d'échapper à leur destin.

Je me plaçai en face de la porte, à l'entrée de ma mort puis regardai le combat qui était en train de se dérouler devant mes yeux. J'en profitai pour observer l'enceinte et voir dans quel environnement j'allais me battre. Je remarquai que les spectateurs se trouvaient au-dessus de l'arène. Seule une fine balustrade en métal les séparait du vide et du sol granuleux couleur rouille. Les murs de l'enceinte étaient constitués de parpaing d'un rouge ocre — nuance que l'on retrouvait un peu partout dans les galeries — comme si la teinte avait été minutieusement choisie afin de cacher les taches de sang qui se trouvaient sur les parois de l'arène.

Contraint de prendre mon mal en patience, je m'accroupis sur le sol de la cellule, puis fermai les yeux afin de recentrer mon énergie. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais un seul visage me vint à l'esprit. Ce ne fut pas celui de ma sœur, ni de ma mère ou de qui que ce soit se rapportant à ma vie à la surface. Non, l'unique figure que je vis dans ce noir complet fut celle de cet ange onirique et il apaisa tous mes mots.

Plusieurs minutes s'écoulèrent, certainement les dernières minutes de ma vie alors qu'un violent craquement se fit entendre ; c'était le crâne d'un des combattants qui venaient de se faire broyer sous le poids de la massue de son adversaire. L'affrontement était terminé. C'était bientôt à mon tour d'entrer en scène.

Je me relevai. Mon cœur palpitait. Une voix introduisit le combat qui allait suivre.

« Et maintenant, faisons place au Grand Tarùn, écraseur de tête, invaincu sur les trente-deux derniers combats, qui fera face à un mécréant venu d'en haut pour un affrontement jusqu'à la mort. Les paris sont ouverts. Cote quatre vint cinq pour le mécréant, contre quinze pour le Grand Tarùn ! À vos jeux ! »

« Le mécréant » ? M'avait-il appelé ? Était-ce donc comme ça que ces vauriens me surnommaient ? Me demandais-je. Enfin, cela n'avait pas d'importance.

La porte de ma cellule s'ouvrit. Je m'avançais d'un pas douloureux au milieu de l'arène, sous les cris et vociférations des spectateurs qui bavaient leur rage depuis les balustrades, comme si leur propre vie dépendait de ce combat.

La vie aux mille visages (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant