PIERRE DE FEU

Mutation de M. Leroux

Le jardin d'Abdallah est magnifique. Le jeune homme l'entretient lui-même quand il ne travaille pas sa musique et c'est sa fierté. Capucine et M. Lesouple sont en admiration.

- Et encore, ce n'est pas la belle saison. Dans trois mois, ce sera fleuri de partout, vous verrez...

Capucine sursaute :

- On sera encore en Égypte dans trois mois ?

- J'imagine que oui, mon cousin a besoin d'un photographe pour un moment. Et moi je vais commencer à écrire des chansons pour un prochain album, j'aurai aussi besoin d'un photographe-vidéaste pour ma pochette et pour quelques clips. Mais c'est vous M. Lesouple qui décidez bien entendu.

- Je vais voir comment cela se passe avec votre cousin, c'est trop tôt pour me décider pour l'instant, nous n'avons pas encore commencé à travailler ensemble lui et moi. Mais si ça se passe bien, pourquoi pas ? L'Égypte est un très beau pays. Si je séjourne ici durant plusieurs mois néanmoins, il faudra que je loue un petit logement. Je ne veux pas abuser de votre hospitalité trop longtemps...

- On en reparlera plus tard... En attendant, profitez de la douceur et du calme de ce jardin...

Mais Capucine ne profite plus de rien, elle réfléchit à comment faire changer M. Lesouple d'avis. Elle veut rentrer en France. Elle ignore quand seront ses prochaines vacances. Tout se mélange dans sa tête... 

Le soir, juste avant le dîner, M. Lesouple reçoit un appel des parents de Capucine :

- Allo, oui ?

- Allo, bonsoir M. Lesouple, c'est Mme. Leroux J'espère que je ne vous dérange pas. Je souhaiterais parler à ma fille. J'ai quelque chose d'important à lui dire.

- Mais oui, bien sûr, je vais vous la passer...

Il appelle Capucine qui est occupée à mettre la table avec Abdallah :

- Tiens, c'est ta mère.

Elle prend le téléphone et s'éloigne. 

- Allo maman ?

- Allo ma chérie, tu vas bien ?

- Euh... oui.

- Je t'appelle parce que la succursale où travaille ton père a décidé de muter certains de ses employés volontaires sur le siège d'Orléans. Il a eu la nouvelle cet après-midi au boulot. Et comme là-bas, il y a la possibilité d'avoir des logements de fonction pour les employés et leur famille avec des loyers très réduits, ton père a donné son accord pour la mutation.

- On va déménager à Orléans alors ?

- À Saran plus précisément, c'est juste a côté d'Orléans, et il paraît que c'est très bien desservi par les bus.

- Quand ?

- Au début du mois prochain. On va commencer à préparer les cartons demain, avec tout le bazar à emballer et comme on travaille tous les deux la semaine, on fera ça le week-end avec Jasmine. Ton père ira visiter le logement dès qu'il nous sera attribué la semaine prochaine et moi je vais postuler dans les sociétés de nettoyage d'Orléans. Voilà pour les nouvelles... On t'appellera pour te donner la nouvelle adresse et notre nouveau numéro de téléphone. Si tu reviens à la maison pour tes prochaines vacances, on s'arrangera ton père ou moi pour pouvoir venir te chercher à la gare d'Orléans.

- Je ne sais pas quand j'aurai mes prochaines vacances...

- Tu parles avec un ton comme si tu en avais marre. Ta formation ne te plaît plus ?

- Si, bien sûr... Juste on va rester en Égypte encore un bon moment et j'aurais voulu bouger un peu... Et mes photos aussi elles vont rester coincées à Paris.

- Ton patron ne peut pas acheminer son courrier en Égypte ?

- Si, bien sûr. Mais comme il n'est pas au courant pour ces photos... Je ne veux pas avoir de problème...

- Ah oui, j'avais oublié... Voilà ce que c'est de faire des cachotteries à ton patron ! Il fallait réfléchir avant d'accepter les essais de ton collègue...

Elle avait prononcé le mot "collègue" avec une pointe d'ironie, étant donné les doutes qu'elle avait à ce sujet. 

Capucine rejoint Abdallah et M. Lesouple dans le salon. Le dîner est sur la table, recouvert, pour ne pas refroidir, ils l'ont attendue. Elle tend le téléphone au photographe et les remercie tous les deux pour l'attente.

- Rien de grave, j'espère ? demande M. Lesouple.

- Mon père va être muté à Saran, à côté d'Orléans. On va déménager le mois prochain dans un logement de fonction là-bas.

Son ton est si neutre... Impossible de savoir ce qu'elle pense, si c'est censé être une bonne ou mauvaise nouvelle... Dans le doute, les deux hommes préfèrent ne pas insister sur le sujet et se mettent à parler travail puisque M. Lesouple commence demain avec Gamal.

Puis, le photographe demande à Capucine si elle a terminé ou non avec ses derniers cours pour savoir s'il y a des choses à envoyer à l'école par correspondance. Elle répond que non pas encore. Il lui explique que l'organisation ici sera différente de celle de Paris vu qu'elle sera plongée tous les jours dans une société avec lui :

- Le matin, je te laisserai travailler tes cours comme à Paris, tu auras un petit bureau tranquille à l'agence de publicité. L'après-midi, tu travailles avec moi.

Elle acquiesce silencieusement. 

Après le dîner, Abdallah propose à Capucine et à M. Lesouple de jouer aux échecs :

- Je commence une partie avec vous monsieur. Puis le gagnant jouera avec Capucine. Le gagnant suivant jouera avec celui qui n'a pas joué et ainsi de suite...

M. Lesouple accepte en riant :

- Attention à vous Abdallah, je suis très fort aux échecs !

- Oh mais moi aussi monsieur ! 

Il rit aussi.

- Je joue très mal... avoue Capucine.

- Je vais t'apprendre des trucs pour gagner contre ton patron alors ! lui répond Abdallah avec un petit rire complice.

Mais malgré tous ses efforts pour tenter de distraire et amuser la jeune fille, celle-ci n'arrive pas à sourire. Tout la ramène à Muse ou à Matthew. Et là tout de suite, ces parties d'échec lui rappellent sa partie de post-it avec Muse. Que ne donnerait-elle pas pour qu'ils soient là eux aussi tous les trois ? Elle s'imagine dans la grande chambre égyptienne, allongée sur son lit, sa tête au creux du cou de Matthew. Elle sait que ce rêve n'est pas réaliste, mais elle ne peut s'empêcher de laisser son imagination vagabonder, c'est son unique exutoire à son immense peine...