Chapitre 2

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« Il n'y a pas plus grande douleur que d'être un ange en Enfer,

alors qu'un diable est chez lui partout. »

-Martin Page


Chesna découvrit Cyriel sur le pas de la porte et elle aurait pu s'en sentir soulagée si seulement l'effroi n'avait pas annulé toute capacité à raisonner.

Son grand frère arborait une expression d'une singulière gravité. Surtout, fait d'autant plus remarquable, il ne semblait en aucun cas partager sa peur. Comme si l'individu qui avait investi les lieux n'était guère plus qu'un invité indésirable, un voisin ivrogne ou un enfant à la figure d'assassin. La surprise ne marquait en rien son expression sévère et solennelle. Il ressemblait à un soldat appelé par le devoir et non au frère qu'il incarnait en ce monde. Dans la pénombre de l'entrée, sa blondeur et sa peau diaphane semblaient irradier une lumière qui ne provenait pas de l'extérieur, mais de son être.

Il avança d'un pas sûr jusqu'à dépasser sa petite sœur et défia l'intrus. Une réaction qui n'avait rien de rationnel puisque n'importe quelle personne aurait pris ses jambes à son cou dans pareilles circonstances. Ce constat s'imposa à Chesna pour s'additionner à tous les faits irréels qui se produisaient, un à un. Son frère darda son regard acéré, le même qui avait toujours effrayé la fillette d'autrefois, sur l'intrus. Celui-ci lui offrit un sourire démesuré.

— Mes salutations, prononça-t-il, d'une voix éraillée, mais doucereuse.

— Chesna, réitéra Cyriel, sans quitter de vue son prétendu adversaire. Sors et attends-moi dehors. Je vais me charger de lui.

— M-Mais, je ne peux pas...

— Ne discute pas ! rugit son aîné, sans lui accorder l'ombre d'un regard.

L'être se mouvait toujours dans l'angle de l'escalier avec une aisance féline, et Chesna, encore immobile, ne pouvait détacher ses yeux de ce mouvement lent et étudié. Elle se trouvait dans un état presque hypnotique et désormais, elle pouvait relever plus nettement les détails de ce corps venu d'un autre monde. Des arabesques étranges se dessinaient sur son épiderme d'une nuance sombre. Une sorte de pourpre foncé, peut-être, bien que la pénombre laissât planer un certain doute. Elles ne parvenaient pas encore à distinguer la couleur de ses orbes, mais ces dernières la fixaient avec une avidité dérangeante. Des cornes aiguisées se dévoilaient au milieu des mèches sombres, et leur présence dissuadait Chesna de tout geste, plus encore que l'appétit qu'elle devinait dans ses longues œillades. La voix s'éleva à nouveau, terrifiante :

Cyriel, n'est-ce pas ? Je dois m'avouer déçu, je pensais revoir la délicieuse Adonie, et j'ai seulement droit au prix de consolation. Navrant !

— Peux-tu me dire ce que fait un démon dans ton genre ici ? Tu es bien loin de l'Enfer, peut-être t'es-tu égaré.

C'est son roi incontesté qui m'envoie et contrairement à vous, les anges, je suis chez moi partout. C'est le privilège des démons !

Les deux s'observaient en chiens de faïence, se jaugeaient comme pour déterminer lequel abandonnerait cette stupide mascarade pour se jeter corps et âme dans le combat. Il s'agissait de manœuvres de dissuasion, des sortes de parades d'intimidation qui ne mènerait à rien d'autre qu'un concours de fierté déplacée. La tension était palpable et seule une curiosité dévorante immobilisait encore Chesna. Elle ne cherchait même plus à comprendre et chaque élément ajoutait sa dose d'incompréhension à son ignorance. Pour l'heure, elle se contentait d'un rôle de spectatrice presque enviable.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant