Chapitre 35

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« Ce que l'on appelle une raison de vivre

est en même temps une excellente raison de mourir. »

-Albert Camus


Cyriel considéra le Diable un court moment, puis la lame, plus longuement. Il imaginait le tranchant déchirer la chair, arracher les plumes soyeuses, lui ôter sa plus grande fierté. Une nausée faillit le soulager du courage dont il se vantait quelques instants plus tôt. Il déglutit, une fine pellicule de sueur inondait son front et la peur régissait des réactions disproportionnées à son corps affaibli. L'odeur du sang lui chatouillait déjà les narines, insupportable flagrance dont Lucifer s'enivrerait.

Je t'ai laissé le choix, ange, mais ne te joue pas de ma patience ! Je ne pourrais rien faire si celui dont tu t'es entiché s'est vidé de son sang pendant que tu t'interrogeais bêtement sur la nécessité de c sacrifice. Estime-moi heureux que je te laisse la vie sauve !

Pourquoi diable ne le faisait-il pas lui-même ? Pourquoi Satan ne venait pas lui découper la chair, sa propre chair, puisqu'il y tenait tant ? Il y aurait pris un plaisir infini, mais la perversité se devait de s'étendre plus loin et marquer l'ange plus loin encore que sa peau. Celui qui se nommait, des millénaires auparavant, Samaël se délectait par avance du spectacle et n'aiderait aucunement sa victime en lui rendant la tâche moins pénible. Bientôt, les ailes immaculées se tacheraient d'un sang vermeil et odorant. Il en salivait d'avance !

Tu ne le laisserais pas mourir, n'est-ce pas ? persifla Satan, depuis le trône où il siégeait, une structure impressionnante qui rendait sa silhouette plus terrible encore.

— Non, je... je vais le faire. Laissez-moi juste un peu de temps, s'écria Cyriel, sa voix sertie de tremblements incontrôlables.

Ce n'est pas pour moi que le temps presse...

Tic-tac, tic-tac.

Cyriel s'empara du côté et s'empêcha de trop penser. Il aurait aimé rendre tout le contenu de son estomac sur les dalles sales. Un vertige le surprit et, s'il ne s'était pas déjà trouvé à genoux, il aurait certainement perdu l'équilibre.

Ses ailes... Non, il ne pouvait pas les sacrifier.

Deux opinions contraires s'opposaient dans le théâtre de son esprit. Il tenait à ses ailes, elles représentaient sa fierté d'anges. Sans elles, il n'était plus qu'une coquille vide privée de son cœur, mais la vie d'Oghnyann reposait sur ses épaules, il ne pouvait l'imaginer mort et encore moins par sa faute. Jamais il n'aurait songé s'être attaché autant à quelqu'un, un démon qui plus est, au point d'hésiter face à un tel choix. L'état des choses, en bien peu de temps, avait subi de lourdes modifications et les conséquences se dévoilaient aux yeux de Cyriel. Le résultat s'offrit à son regard : une véritable tragédie. Il se sentit l'âme du pion sacrifié par les rouages du destin et tout espoir l'abandonna.

Tic-tac, tic-tac.

L'ange prit une immense inspiration et gonfla ses poumons d'air. Il ne pouvait pas flancher, pas maintenant, pas à l'instant où Oghnyann souffrait le martyre, seul. Il le ferait pour lui, parce que le Chasseur avait tout abandonné pour rejoindre leur cause, pour le rejoindre. Les dents serrées, il avisa une dernière fois l'arme blanche bien en face et maudit le Diable pour sa cruauté. Celui-ci souriait discrètement, une lueur amusée, presque jouissive, dans son regard sombre. Cet homme n'avait rien en commun avec Chesna, il ne pouvait pas croire qu'il s'agissait de son géniteur.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant