Chapitre 40

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« La vraie mélancolie c'est quand la vie vous manque

alors que vous l'avez encore »

-Jacques Dor


Adonie, les poings liés, avait cessé de s'époumoner depuis qu'elle avait été arrachée à Chesna. Un calme presque effrayant l'avait submergée et anéantie. Elle portait encore les traces de brûlure autour de son cou et l'écho de la douleur battait à ses tympans, au même rythme que son cœur. Elle n'était pas seule dans sa cellule, son codétenu récitait des prières étranges à l'autre bout de leur geôle. Elle voyait, dans la pénombre, ses yeux rouler dans leurs orbites et ses lèvres dessiner une litanie à peine articulée.

Elle se rappelait le lieu où elle avait été enfermée et si elle avait tenté d'occulter cette pensée le plus longtemps possible, elle ne pouvait plus se contenter de l'ignorer. La peur pétrissait chaque cellule de son être. Elle se recroquevilla sur elle-même dans un réflexe pathétique. Cette nouvelle captivité lui rappelait son dernier séjour entre ces murs et les souvenirs effroyables qui lui étaient affiliés. Le maître des lieux avait poussé le vice encore plus loin en l'enfermant dans une des cellules qu'elle avait occupée il y avait de cela des années. Elle revivait, dans une torture perpétuelle, la douleur physique et mentale qu'on lui avait infligée.

Oghnyann, ses mains posées des deux côtés de son visage, pénétrait ses pensées, ravivait sa terreur, torturait son esprit déjà fragilisé. Les roches qui parcouraient son corps traversaient sa peau comme si elle n'était faite de rien, le sang souillant la pierre. Et puis, les longues minutes où le Chasseur s'amusait avec sa proie s'égrenaient. Il disparaissait, la laissait seule une seconde ou deux, elle cherchait alors son agresseur dans le vide, dans le noir. Puis, il se matérialisait pour lui asséner un coup et la voir ployer sous la douleur, la frustration et la crainte. Quel spectacle jouissif !

Une torture vaine, parfois interrompue par quelques questions. Oghnyann l'interrogeait sur son appartenance à l'armée angélique, sur leurs faiblesses, sur leurs stratégies. Il lui arrachait ensuite quelques poignées d'ailes pour le seul plaisir de détailler le visage de sa prisonnière lorsqu'elle retenait ses cris. Les premiers instants, l'ange avait promis de se réduire au silence, ne serait-ce que par dignité. Elle avait compris qu'elle n'y parviendrait pas et que cet exploit tenait de l'impossible. La geôle s'était emplie de ses plaintes, de sa respiration haletante, des secousses douloureuses de son corps supplicié. Chaque minute qu'elle passait ici la plongeait dans ce cauchemar et il semblait à Adonie que son corps se rappelait les traitements subis. Son ventre se tordait, la sueur inondait son front et son cœur s'emballait au point où elle aurait pu craindre qu'il ne l'abandonne. Le sang fouettait ses veines, digne du feu qui brûlait en Enfer.

L'Enfer, elle y était bien de retour.

Il y avait eu également la torture plus conventionnelle : la faim et la soif, le corps qui protestait contre un traitement atroce et la fatigue, la peur de ne jamais revoir la lueur du jour. Cette peur panique, viscérale, qui tournait à l'obsession. L'esprit finissait par ne penser qu'à cela et elle aurait probablement perdu la raison si ce traitement s'était éternisé quelques semaines supplémentaires. Les murmures d'Oghnyann dans la pénombre, sa silhouette qui serpentait au creux du noir et son visage honni qui se dévoilait suffisaient à constituer une torture bien singulière. Adonie l'avait haï, elle l'avait haï comme elle n'avait jamais haï personne, et elle s'était haïe de se savoir terrifiée dès que son odeur lui chatouillait les narines. Elle s'était haïe de sentir son corps frémir de dégoût, mais surtout d'effroi. Elle s'était haïe de ne pas avoir résisté jusqu'à son dernier souffle.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant