Chapitre 3

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« Un ange frappe à ma porte,

Est-ce que je le laisse entrer ? »

-Natasha St-Pierre


Chesna avait fui les hostilités de la manière la plus lâche qui soit et non sans regrets.

Elle s'était retrouvée dehors, seule, une peur viscérale au ventre et le cœur au bord des lèvres. Le monde était nu et il lui semblait qu'elle pouvait fuir aussi loin qu'elle le souhaitait, ce monstre trouverait son refuge, quoi qu'il lui en coûte. La jeune femme n'avait pu se résoudre à attendre devant la porte de son domicile et malgré cette sensation pesante au creux de l'estomac, elle s'était résolue à quitter la cour de son logement.

Après un dernier regard pour la maison, elle s'était élancée vers le petit sentier. Une pluie drue tombait à torrents, le ciel s'était laissé envahir par un cortège de nuages de mauvais augure tandis que quelques minutes auparavant, l'horizon était dépouillé de toute impureté. Les muscles bandés par l'effort, les yeux rendus humides par le vent qui ralentissait sa course, elle trébucha à plusieurs reprises sur des amas de graviers. Elle dépassa une maison isolée, habitée par un couple de retraités qui avait toujours vu d'un mauvais œil leurs plus proches voisins, puis une seconde avant d'atteindre son objectif. Une imposante bâtisse située à l'entrée du petit village alsacien qui bordait les champs et les forêts. Un lieu rustique, une maison à colombages accompagnée d'une demi-douzaine de nains de jardin. Pas de doute possible, Chesna était arrivée à bon port.

La voici immobile devant la porte, enivrée par ce cadre familier au cœur duquel apparaissaient d'étranges phénomènes. Le sang battant contre ses oreilles, elle s'attendait à voir surgir l'un de ces monstres des arbres fruitiers que la propriétaire des lieux chouchoutait. Cette fois, il n'y aurait pas de créature ailée pour la tirer d'affaire, pas de frère miraculé au comportement tout aussi singulier. Elle réalisa soudain tout ce que la vivacité des événements l'avait empêchée de relever. La créature démoniaque dans son salon, et les ailes de son frère, Cyriel, qui n'avait pas hésité à le combattre. Et ce nom, familier sans l'être réellement : Lucifer. Que fallait-il en comprendre ? Elle ne put en délier les liens et les cheveux plaqués sur son visage par la pluie qui martelait le sol, elle se mordit la lèvre pour ne pas hurler. Son nez légèrement busqué se retroussa sur une expression terrifiée qu'il lui fallut pourtant ravaler.

Elle toqua deux coups brefs contre l'épaisse porte en chêne. Ses yeux bruns fixés sur une réalité inconcevable, sur un secret enfin prêt à se dévoiler, elle chassa les gouttes prisonnières de ses longs cils. Le mensonge s'effritait, usé par les années d'une mascarade dûment jouée et elle tremblait au milieu du décor délavé la pluie. Pourquoi ne pleurait-elle pas ? La peur qui la dominait aurait dû être plus cauchemardesque encore, mais elle n'en avait pas la plus petite idée.

Lorsque Jeanne apparut, visiblement à peine rentrée de son excursion matinale, Chesna abandonna la lutte et vacilla. Ce fut la retraitée qui la préserva d'une chute douloureuse et l'entraîna dans l'antre à la chaleur agréable. La vieille femme s'exclama, avec l'énergie que sa soixantaine bien sonnée ne dénaturait pas :

— Mais qu'est-ce que tu fais dehors ? Tu es toute trempée ! Viens par ici, tu vas encore attraper la mort ! Non, mais tu as vu ce temps ? On ne sort pas quand il pleut des cordes ! Allez, viens, on va trouver de quoi te réchauffer !

Sa protégée ne parvint à articuler aucune réponse et se laissa guider par la vieille femme à l'intérieur de son humble demeure. Elle confondit ses tremblements de terreur avec ceux inspirés par la pluie glacée qui rinçait leur campagne alsacienne. Chesna avait toujours été une femme active. Même l'adolescence ne lui avait pas ôté l'énergie qui la menait sur les sentiers de longues promenades. Elle n'avait pas été de ceux qui se prélassent dans un canapé sans autre occupation que la télévision ou autre source de distraction. Sa silhouette forgée par de nombreuses activités sportives frémissait comme une feuille morte une fois venu l'automne.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant