Chapitre 12

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« Le diable frappe à ma porte.

Il demande à me parler

Il y a en moi toujours l'autre,

Attiré par le danger. »

–Natasha St Pierre


Cyriel avait soigneusement inspecté chaque grotte, chaque cavité, chaque trou béant dans la glace. La blessure de son avant-bras ne saignait plus, mais restait douloureuse. Le moindre geste éveillait un éclat de souffrance vif à hauteur de la plaie. Son corps courbaturé, endolori par les maléfices essuyés les jours précédents, lui rendait la tâche d'autant plus pénible.

Accompagné d'une farouche certitude, celle que son ennemi n'avait pu s'en aller bien loin dans un pareil état, il poursuivit son enquête minutieuse. La capacité d'Oghnyann lui permettait de se débarrasser sur des distances raisonnables et elle ne pouvait qu'être grandement affaiblie. Les bourrasques glaciales retardaient sa progression, alourdissaient chacun de ses gestes. Lorsqu'il crut apercevoir des traces dans la neige, il pensa à une hallucination, à un vil mirage, à une déformation subtile de la réalité. Il n'en était rien. Ici, juste sous ses yeux, quelqu'un avait foulé le sol sur plusieurs mètres. Du sang souillait la blancheur immaculée. Il semblerait qu'Oghnyann ait fini par atteindre les limites de son corps démoniaque et qu'il ait laissé derrière lui une preuve immonde de son passage. La créature s'était trahie.

Enhardi par cette découverte, parcouru par une énergie nouvelle, l'ange suivit les empreintes confuses dans la poudreuse. Parfois, elles disparaissaient, pour se former à nouveau, un peu plus loin. Même les pouvoirs du démon lui faisaient défaut. L'imagination de Cyriel lui indiqua son adversaire rampant dans la neige, d'affreuses mutilations courant sur son corps de monstre. Une vision qui troubla la créature angélique qui ne saurait dire s'il en tirait une cruelle satisfaction ou une compassion interdite.

Enfin, il dénicha le refuge d'Oghnyann. Avant même d'avoir aperçu les courbes masculines de son enveloppe charnelle pressée contre la roche froide, il sut que sa quête venait de prendre fin et il ne parvint même pas à en triompher de toute la hauteur de sa gloire. Il n'en trouva pas la force. Cyriel pouvait presque distinguer les volutes violettes, signature démoniaque, autour de la bouche béante de la cavité. La gorge nouée, une émotion qui lui fut étrangère se matérialisa. Loin d'une quelconque appréhension, il paraissait craindre dans quel état il allait retrouver son ennemi lorsqu'il y pénétra. Un prédateur non satisfait d'avoir mortellement blessé sa proie et qui souhaitait assister à son agonie, peut-être même à sa mort. Cette fois encore, une pensée aussi répugnante lui tira un frisson de dégoût. Il se sentit tiraillé entre ces deux penchants contraires et impurs à sa fonction céleste. Il n'agissait pas en véritable guerrier et en avait à peine conscience.

Cyriel s'immobilisa dès qu'il vit le corps affaibli du démon. Bien qu'il ait été confronté à bien des immondices au cours de sa longue existence, il ne put s'empêcher de retenir sa respiration. Oghnyann, terré dans cette humble tanière, gisait entre conscience et inconscience, la peau couverte des mêmes mutilations perçues en songe. Des brûlures causées par les sorts de l'ange, des coupures infligées à cette occasion. La fière créature de naguère faisait peine à voir.

Cyriel s'approcha lentement, ses ailes recroquevillées dans son dos, comme s'il essayait de se faire oublier. Il ne sentait plus la morsure des températures négatives, ni même la gêne constante de ses propres blessures. Il s'accroupit aux côtés du condamné et tenta vainement de taire le cours sempiternel de ses pensées. Tout comme Adonie, il était homme de principe, un être simple qui ne connaissait ni l'abandon ni l'acte spontané. Il avait été élevé dans la perspective d'un tout auquel il avait dû s'intégrer. En dépit d'une naissance presque honteuse, bien plus basse que les anges qui s'engageaient l'armée céleste, il était parvenu à s'imposer par la droiture de son esprit et par la force de ses convictions. Il s'était battu plus dur, il avait enduré des traitements moins conciliants et avait essuyé les humiliations. Celles-ci, il les portait encore lorsqu'il approcha l'ennemi juré de toute une espèce. Les murmures de sa conscience ne faisaient pas bonne mesure et il craignait d'y succomber. Sa main ouverte vit l'apparition d'une sphère de magie destinée à abréger les souffrances de l'assassin. Le crépitement sembla tirer Oghnyann de sa léthargie et, avant que l'ange ne réalise son état, il chuchota d'une voix rauque :

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant