Chapitre 32

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« Si la justice existe, son lieu de prédilection n'est pas sur Terre »

-Pierre Josset


Les yeux de Chesna s'étaient ouverts sur un monde dénué de perspectives. Un monde que l'espoir avait déserté et dont la saveur amère envahissait sa bouche. Si la nuit avait été des plus délicieuses, le réveil fut synonyme de désillusion. La fille du Diable ne l'ignorait pas, les chances pour qu'elle voie la prochaine aube étaient infimes.

Elle s'était détachée du corps chaud et désirable d'Adonie, ce corps qui lui rappelait les souvenirs précieux de la nuit passée et s'était revêtue péniblement, le cœur lourd, à la manière d'une condamnée. L'ange l'avait bientôt rejointe et elles n'avaient pas échangé la moindre parole jusqu'à ce que l'instant de quitter la geôle ne se présente enfin.

Lorsque la femme de la veille se dessina dans l'embrasure de la porte pour réclamer son dû, un sourire tordant ses lèvres fines, elles l'accompagnèrent sans même protester. À quoi bon ? Avec la rigueur des proscrits, elles allaient, silencieuses, vers la peine qui leur serait délivrée. La main de Chesna se glissa dans celle d'Adonie avant qu'elles entrent dans la pièce où l'ange avait imploré la pitié d'Asmodel quelques heures plus tôt. Elles s'observèrent sans un mot, dans le courage muet de leur condamnation commune, unies comme elles ne le seraient jamais.

La porte s'ouvrit et une assemblée bruyante apparut. La respiration de Chesna se tarit et ses jambes manquèrent de l'abandonner. Elle compta pourtant sur ce corps, et sur le souvenir que Liah y avait laissé, pour la porter vers l'endroit où elle devait être entendue. Adonie tint sa main dans la sienne et refusa de la lâcher. Elle s'exposa par ce geste inédit aux railleries des siens, jusqu'à la dernière seconde et illustra vers quel camp allait son cœur. Elle confirmait la thèse de la trahison et ne s'en cachait pas. Le brouhaha ne semblait pas prêt de cesser, ses braises ravivées par l'entrée de la principale concernée. La plupart découvraient son visage démoniaque pour la première fois et ne se privaient pas de communiquer leur choc comme leur dégoût. Ils détenaient la pièce maîtresse des sombres desseins du Diable et ne comptaient pas la laisser s'échapper. Le piège venait de se refermer sur elle et ses oreilles sifflaient déjà des injures à peine voilées dans un lieu de renom. La cour de justice des anges était sourde aux propos déplacés qui qualifiaient Chesna de termes répugnants.

La démone s'était assise non sans réticence et les sièges massifs des juges la dominaient de toutes leurs tailles. Derrière elle, dans son dos, les sempiternels murmures s'élevaient comme la personnification de la mort elle-même. La bête que les entrailles de l'Eden renfermaient n'était peut-être que ces anges aux visages terriblement humains. Chesna se surprit à les haïr et si Adonie et son frère ne représentaient pas la preuve qu'ils n'étaient pas tous si perfides, si malveillants, elle aurait été tentée de croire ce qui lui dictait ses gènes démoniaques et les souvenirs férocement encrés de Liah.

— Silence !

Asmodel se tenait aux côtés de l'être qui venait d'élever la voix. Le silence renaquit sans attendre et Chesna frémit comme si ce mutisme lui était plus désagréable encore que les sobriquets. L'allure de l'archange lui coupa le souffle et elle brûlait d'envie de fuir ce regard pénétrant. Il imposait un charisme inhumain, comme une envie de se soustraire à sa présence et de lui obéir aveuglément. Elle se maudit pour s'être laissée emmener jusqu'ici sans chercher à s'échapper. Elle aurait dû agir aussi farouchement que Liah l'aurait fait, elle n'aurait pas dû être emportée vivante. Elle s'humecta les lèvres tandis que sa bouche s'assécha et qu'une pellicule de sueur perlait sur son front. Pour s'être imaginée ce jugement hâtif, la surprise n'en était pas moins cuisante.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant