Chapitre 31

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« La fin justifie les moyens.

Mais qu'est-ce qui justifiera la fin ?

-Albert Camus »


Un sourire ourla les lèvres de la démone.

La Diablesse envoya Cyriel dans les airs dans un élan de brutalité dont elle avait le secret et relâcha sa victime qui avait, pour elle, perdu tout intérêt. Oghnyann était immobile, la queue de son ennemie profondément enfoncée dans son corps, trop hébété pour ressentir la douleur. Les yeux grands ouverts, la bouche entrouverte sur une exclamation étranglée, ses jambes faiblirent et manquèrent de l'abandonner. Il cracha une gerbe de sang.

— Je déteste les... surprises ! gronda la femme, derrière son épaule.

L'ange se redressa avec difficulté et, entre deux pénibles inspirations, il réalisa l'ampleur de ce qu'il venait de se produire. Le Chasseur avait tenté de le sauver et cette perspective aurait dû le réjouir si celui-ci ne venait pas de payer durement le prix de son audace. Cette vision horrifique lui fut insoutenable.

— Oghnyann... souffla-t-il, si bas que nul ne l'entendit.

D'un geste vif et cruel, la Diablesse retira sa queue de la plaie qu'elle avait créée. L'opération laissa s'échapper un bruit de succion écœurant et une nouvelle gerbe de sang sombre, presque noir. La blessure se situait au milieu de la poitrine, même de dos la démone avait su viser juste et il était étonnant qu'Oghnyann soit encore en vie alors que le coup n'avait pas pu épargner tous les organes. Un prodige qui ne lui permettrait certainement pas de vivre au-delà de quelques instants de répit.

— Maudit traître ! Tu pensais vraiment m'avoir avec un coup aussi stupide ? Je ne suis pas le menu fretin ni ces mauviettes aux ailes d'anges !

Tu n'as... pas encore gagné.

— Ah, c'est ce que tu crois ? ricana la femme, son visage tordu dans un mélange d'amusement et de rage. Tu crois que l'égratignure dont ton nouveau jouet m'a fait cadeau a pu m'affaiblir ? Tu n'es plus en mesure de me tenir tête, tu n'es plus une menace ! Et dire que le Maître t'estimait tellement ! Tu ne vaux pas plus que les déchets que tu as tués dans ta misérable existence !

Tu... ne serais pas... jalouse ?

Jalouse de toi ? Mais regarde-toi ? Tu es banni des tiens, tu n'as ta place nulle part. Tu ne tiens même plus debout et tu voudrais que je sois jalouse !

Fidèle à elle-même, elle parlait sans discontinuer et avec une virulence qui lui était propre. Elle se retourna pour détailler avidement l'expression de douleur figée sur le visage d'Oghnyann. Celui-ci peinait à conserver son équilibre précaire, les mains crispées sur sa poitrine, un sang poisseux recouvrant ses doigts ouverts. La Diablesse s'approcha sans craindre l'ennemi qui, malgré son état pour le moindre alarmant, était toujours en vie. Elle s'avança d'un pas langoureux et une expression presque amoureuse plantée sur son visage avide. Elle se nourrissait de la douleur que suintait Oghnyann et s'en repaissait sans une once de pudeur.

— Allons, allons, ne me regarde pas comme ça. Tu auras au moins l'honneur de mourir de ma main.

De son ongle, elle retraça la courbe de sa mâchoire contractée si fort qu'elle crut percevoir le grincement de ses dents. Il respirait fort, la souffrance lui ôtait le contrôle qu'il avait cru maintenir sur la situation. Une peur glaciale investissait son corps, cette enveloppe charnelle qui ne saurait supporter de tels dommages et qui ne pouvait entraîner le processus d'autoguérison. La démone ne l'ignorait pas et même s'en jouait. Les nuances rouges et orange qui noyaient l'horizon et le soleil dans sa course sonnaient comme l'approbation du ciel. Une vaste ironie !

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant