Chapitre 26

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« Je crois ce que je dis, je fais ce que je crois. »

-Victor Hugo


La disparition de l'assaillant ainsi que celle de Chesna laissèrent un vide terrifiant derrière eux. Comme une déchirure pénible de la réalité, un sillon sanglant que la terre déplorait. La fille du Diable reposait désormais entre les mains de ses ennemis.

— Je l'ai abandonnée... articula Adonie, les yeux perdus dans les vagues, les épaules basses et, dans la voix, l'écho d'une défaite amère.

Et, plus que tout, elle avait échoué. Elle avait échoué à la protéger, elle avait manqué à son devoir et elle avait failli perdre. L'ange qui gisait mort à ses pieds aurait pu la tuer. Sans l'aide inespérée d'Oghnyann, le dénouement aurait été plus dramatique encore. Le démon observait la plaine, comme pour s'assurer qu'ils avaient bel et bien disparu, le corps frémissant de l'adrénaline des combats.

Adonie se releva pour de bon, ses jambes peinèrent à porter le poids mort qu'elle représentait. Elle parut désarticulée, une part d'elle-même arrachée. Cyriel lui rendit une œillade profondément éplorée. Elle lisait dans son regard clair et pur la réflexion qui était la sienne. Il cherchait une solution, une énième issue à cette situation dramatique. Mais où la trouver ? Dans la tombe où reposait le corps vide de Chesna ? Dans la poussière qu'avait soulevée l'ardeur de l'assaut et qui retombait au sol dans une bourrasque glaciale ? Où exactement ?

La jeune femme, orpheline et déchirée au point où elle ne pouvait exprimer justement la douleur qui berçait ce silence, pivota en direction d'Oghnyann. Elle l'observa bien en face, comme elle n'avait jamais osé le faire, sans haine ni mépris. Elle souffla, aussi bas que le mutisme dans lequel ils étaient tous plongés :

— Merci...

— Tu m'as épargné la dernière fois, rétorqua le démon, dans un haussement d'épaules qui se voulait détaché.

— Il y a une nette différence entre épargner quelqu'un à contrecœur et le sauver.

Le Chasseur ne trouva rien à renchérir. Il avait agi pour le mieux et n'avait pas réfléchi outre mesure. L'instinct avait peut-être régi ses actes. Il s'était illustré dans un affrontement qui ne le concernait pas, il n'avait pas combattu pour le salut de son existence ni dans l'obéissance d'un ordre délivré par le Diable. Non, il s'était jeté dans la mêlée de son propre gré, avec la solide certitude que cette décision était meilleure d'entre tous. Le cadavre encore chaud de sa victime souillait le sol vierge de cette terre d'exil. L'Alsace se teintait d'une mélancolie macabre.

— On ne peut pas rester là à ne rien faire, objecta Adonie, d'une voix défaite. J'ai vu mon père la nuit dernière, ils la tueront sans hésiter.

— Elle aura droit à un jugement, contra Cyriel, les bras croisés sur sa poitrine encore secouée de soubresauts.

— Un jugement ? Tu sais très bien comme la justice des anges se montra magnanime envers elle. Son sort est bouclé depuis bien longtemps. Lorsqu'Asmodel verra sa nouvelle apparence, il n'hésitera pas un seul instant.

Oghnyann, spectateur d'une conversation où il n'avait pas son mot à dire, vit le premier la silhouette énergique de Jeanne apparaître. Cyriel lui avait ordonné de rester cloîtrée dans la maison jusqu'à la fin des hostilités, ce à quoi la retraitée avait étonnamment obéi. Elle suivait désormais le chemin de la cour et atteignait l'endroit où les créatures l'attendaient, à l'orée du bois. Elle ne feignit pas la stupéfaction, seulement la tristesse séculaire qui semblait l'accabler.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant