Chapitre 38

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« Le seul moyen de chasser un démon est parfois de lui céder »

-Paule Saint-Onge


Chesna était captive.

Ainsi pouvait être résumé sa seule certitude ainsi que sa plus grande tourmente. Elle avait suivi son géniteur sous la menace et celui-ci l'avait abandonnée dans la solitude d'une vaste pièce. Elle y avait tout le loisir de ressasser inlassablement ses regrets et elle y était si consacrée qu'elle ne relevait même pas le confort qui lui était réservé. La soie qui recouvrait le divan l'indifférait, tout comme les fruits frais qui trônaient sur une table-basse et tout le soin porté au détail. Contrairement aux pièces nues du château, celle-ci témoignait d'un luxe presque dérangeant. Les drapés coulaient jusqu'au sol et une chaleur plaisante, agréable, se diffusait. Chaque élément semblait avoir été réfléchi pour lui être plaisant.

Malgré la rigueur avec laquelle son paternel avait soigné son entrée, il manquait deux choses à Chesna pour qu'elle se sente parfaitement sereine : Adonie et sa liberté. Deux choses auxquels s'ajoutait sa conscience, puisqu'elle refusait de s'allier au Diable. Assise, elle pensait à toute vitesse, aussi vite que son esprit troublé le lui permettait. Elle était seule et personne ne semblait souhaiter briser ce halo de solitude, à son grand désespoir. Où se trouvait son amante ? Son père n'aurait pas osé se débarrasser d'elle ainsi ! Cela faisait des heures qu'elle patientait ici, sans la moindre indication, sans la moindre information supplémentaire. Son père avait une manière bien à lui de la torturer et Chesna aurait préféré des coups à l'absence étudiée du Diable. Elle fulminait entre ses dents serrées et d'autres interrogations réclamèrent son attention : où se trouvait Cyriel ? Toute rancœur oubliée, elle espérait seulement que les démons n'aient pas encore déferlé sur leur ferme. Si le Diable avait mis la main sur sa fille, peut-être épargnerait-il celui qui l'avait élevée. Chesna l'espérait.

Les souvenirs qui étreignaient le corps qu'elle occupait lui soufflaient qu'elle connaissait déjà ces lieux. La jeune femme avait presque l'impression d'avoir déjà parcouru ce sol, de s'être déjà assise sur ce divan. Liah avait vécu ici, cette chambrée avait été la sienne durant les longues années qu'elle avait passées aux côtés de Lucifer. Elle avait été sa pupille, une fille de substitution et jamais à la hauteur de ce qu'il attendait d'elle. Un pincement au cœur saisit Chesna. Liah n'avait jamais été assez convaincante dans son rôle et n'avait jamais su faire oublier à son père adoptif le souvenir abstrait de son propre enfant.

Chesna guettait des signes de vie. Elle avait tenté d'ouvrir la porte qui scellait la pièce, mais elle avait été verrouillée avec soin. Si la fille du Diable n'occupait pas cette chambre en qualité de prisonnière, cela y ressemblait à s'en méprendre. Il n'y avait aucune fenêtre, aucune issue, rien qui laisserait suggérer l'extérieur et depuis son arrivée, Chesna n'avait pas vu la couleur du ciel ou celle de son Royaume. Depuis le cœur des Enfers, la perspective était peut-être différente ? La démone s'efforçait de ne pas prêter attention aux indications de son corps et aux messages faussés qu'il lui transmettait. Son esprit luttait, son enveloppe charnelle exultait d'être enfin de retour là où se trouvait sa place et Chesna voyait ses émotions régir le peu de libre-arbitre qui lui restait encore.

Soudain, la porte s'ouvrit et le fracas lui tira un sursaut. Elle tâcha de demeurer naturelle un court instant avant de céder à ses instincts et de sauter sur ses pieds. Elle ne réalisait pas à quel point elle se mariait avec le décor sous cette nouvelle apparence. Les nuances rougeoyantes de sa peau se fondaient dans les drapés et dans l'intimité très personnelle de la chambre. Elle était chez elle et le Diable, lorsqu'il pénétra dans l'antre d'un pas sûr, ne put que le souligner :

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant