Chapitre 8

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 « Un démon ?

C'est un ange qui a eu des malheurs ; un ange émigré. »

-Rivarol


Adonie avait pénétré dans ce qui lui rappelait un grossier taudis sans se douter de ce qui s'y tramait. Elle ne pensait pas y découvrir Chesna dans un tel état. La jeune femme, entièrement recoquillée sur elle-même, respirait difficilement et semblait bien loin de la petite grange miteuse où elle se trouvait.

Ce n'était hélas pas le plus inquiétant et l'ange dut s'avancer pour distinguer dans la pénombre les plaques colorées qui marquaient le corps échoué. Des traces vermeilles, presque des arabesques, couraient sur l'épiderme. Adonie comprit alors la gravité de la situation et, sans plus hésiter, elle se précipita en direction de l'humaine. Ou, plutôt, vers ce qu'il en restait.

— Chesna ! répéta la créature, un ton plus fort, une nuance d'inquiétude dans la voix. Hé ! Regarde-moi !

La panique la muselait alors que l'intéressée ne semblait pas l'entendre. Elle en percevait peut-être l'écho, mais de si loin. Rien ne paraissait prêt à l'arracher aux mains de cette furie. Si Adonie n'avait eu l'occasion d'analyser la situation avant de se voir catapulter en son cœur même, elle pouvait concevoir les raisons de cette pénible perte de contrôle sans la moindre certitude. Le choc et les révélations des dernières heures venaient d'anéantir les résistances de la jeune femme. Son interlocutrice forcée ignorait encore comment quiconque saurait résister à la puissance déchaînée d'une telle entité démoniaque. La progéniture de Satan devait posséder des capacités défiant l'imagination et personne en ce monde n'était en mesure de lui tenir tête. Pas même un ange !

La respiration erratique de Chesna heurta celle d'Adonie qui, penchée sur ce corps laissé à l'abandon, réfléchissait furieusement. Quelque part, une envie de tourner les talons et d'oublier cette altercation s'imposa. Cette pulsion égoïste qui lui dictait un geste auquel elle refusait de se prêter.

Prise de convulsions, Chesna s'accrocha subitement au bras tendu de sa vis-à-vis. Elle serra entre ses doigts la chair si fort qu'un humain normalement constitué aurait sans doute hurlé de douleur. L'ange endura sans un mot avant de rencontrer le regard de l'humaine. Un regard où le pourpre rongeait le brun. Un regard qui se tachait de sang et où l'éclat de folie prenait l'ascendant sur la conscience. Un regard d'une profondeur redoutable où Adonie pouvait presque deviner le reflet de l'Enfer. Un feu éternel qui y brûlait depuis un quart de siècle sans personne pour s'y jeter.

Chesna distinguait les quelques mots prononcés par l'ange sans rien y comprendre. Des syllabes lui parvenaient à peine, comme à travers un voile. La surface d'un miroir qui déformerait subtilement la réalité. Elle apercevait les traits de son interlocutrice et n'y discernait que sa présence devenue familière, anormalement rassurante.

Adonie comprit avec horreur que l'humaine était en train de se vider de sa substance. Pas de son sang, non, mais bel et bien de sa conscience humaine et de l'énergie colossale qu'elle représentait. Elle sut alors que la prévoyance n'était plus suffisante et que, si elle n'agissait pas immédiatement, Chesna ne serait bientôt plus de ce monde. Dépourvu de son essence humaine, le corps ne saurait pas résister à la puissance démoniaque libérée aussi brusquement. La jeune femme mourrait sans que quiconque ne puisse intervenir.

— Chesna ! Tu dois absolument te calmer ! Je t'en prie, ce n'est pas un jeu !

Adonie imaginait déjà les conséquences de cette perte de contrôle. Elle ne se pardonnerait jamais la mort de Chesna, pas plus que Cyriel. L'ange déploya ses ailes sans plus s'interroger sur l'art et la manière d'arrêter cette hémorragie. Une couleur rouge se dessinait autour du corps secoué de soubresauts de la jeune femme, une sorte de halo, comme la personnification d'une aura. C'était magnifique, un spectacle de toute beauté.

Au diable les angesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant